Le Figaro Magazine

SOEUR BERNADETTE, LA MIRACULEUS­E GUÉRISON

La soeur franciscai­ne Bernadette Moriau est la nouvelle « miraculée » de Lourdes. Notre journalist­e spécialist­e des questions religieuse­s l’a convaincue de raconter son incroyable histoire. Non sans mal.

- Par Jean-Marie Guénois

Portrait

Je n’aime pas écrire à la première personne. Si « je » fais exception aujourd’hui, c’est pour raconter une aventure humaine simple, très profonde et qui n’est pas banale : il m’a été donné d’aider une « miraculée » de Lourdes, religieuse franciscai­ne, soeur Bernadette Moriau, à rédiger le livre où elle raconte sa guérison « inexpliqué­e » par la médecine, le 8 juillet 2008, à 17 h 45, dans la chapelle de son petit couvent, situé à Bresles, en Picardie, à deux pas de Beauvais. Guérison reconnue par l’Eglise catholique le 11 février 2018, comme le 70e miracle de Lourdes. On y croit ou on n’y croit pas. Chez les sceptiques, la Vierge, la grotte de Lourdes, soulèvent des torrents de sarcasmes. Pour des millions de pèlerins et de malades venus du monde entier, ce lieu suscite une foi à déplacer des montagnes. Lourdes est ainsi la seconde ville hôtelière de France. Croire au Ciel ou ne pas y croire n’est donc pas la question. Mais il y a ce fait, incontourn­able : quid de cette « guérison » et de ce « miracle » ? Cette femme, frêle, énergique, n’est pas une illusion. Elle en est le témoin vivant. Bernadette Moriau était atteinte du syndrome de la queue de cheval. Rien de romantique dans ce nom, c’est une maladie incurable. Elle ronge les terminaiso­ns nerveuses du bas de la colonne vertébrale en provoquant une paralysie progressiv­e. Son pied gauche était à l’équerre de son pied droit. Elle portait un corset et une minerve. La maladie irradiait en permanence des douleurs pointues, à l’image d’une sciatique, dans la colonne vertébrale. Seuls de la morphine à forte dose et un neurostimu­lateur électrique compensaie­nt la vivacité du mal.

Au retour d’un pèlerinage diocésain à Lourdes en juillet 2008 où elle vécut une « expérience spirituell­e profonde », elle ressent une « grande paix » sans être guérie pour autant. Trois jours après, lors d’une adoration eucharisti­que dans la chapelle de la fraternité franciscai­ne où elle réside, elle ressent une chaleur dans son corps qui la conduira, une fois rentrée dans sa chambre, à enlever tous ses appareils, à stopper la morphine et à constater la disparitio­n des douleurs tout en retrouvant l’usage de son corps. Le lendemain elle entame une promenade à pied de 5 kilomètres…

DIX ANNÉES D’ENQUÊTES MÉDICALES

Devant un tel prodige, l’Eglise catholique, la première, fait profession de scepticism­e. Elle se méfie de ces manifestat­ions extraordin­aires. Elle applique donc un doute méthodique. Elle ne reconnaît du reste que 1 % des déclaratio­ns de « guérisons supposées » – c’est son vocabulair­e – au bureau médical internatio­nal de Lourdes. Elle demande surtout à la médecine et à la science d’examiner le cas. Soit une dizaine d’années d’études, avec des examens et des contre-examens, y compris psychiatri­ques, et des commission­s spécialisé­es impliquant un total de 300 médecins. Le tout pour parvenir à ce verdict : une « guérison inexpliqué­e en l’état actuel des connaissan­ces » scientifiq­ues. Passant du monde scientifiq­ue au monde théologiqu­e, cloison étanche, l’Eglise commence seulement son enquête. Il revient à l’évêque du lieu de résidence, Mgr Jacques BenoitGonn­in, évêque de Beauvais, Noyons et Senlis, de « discerner » et d’affirmer si cette « guérison » est un « miracle », c’est-à-dire une « interventi­on divine ». Il met en place une commission de théologien­s qui rendra un avis positif. Puis cet homme de Dieu priera, beaucoup. Il reconnaîtr­a finalement ce fait comme un « miracle ». La nouvelle sera rendue publique le 11 février 2018, jour de la fête de Notre-Dame de Lourdes dans l’Eglise catholique. Voilà l’essentiel de l’histoire. Elle est mieux racontée dans l’ouvrage par soeur Bernadette qui livre des détails, ses doutes, ses certitudes. Ce n’est pourtant pas un livre de bondieuser­ie. C’est un livre d’une humanité bouleversa­nte. Cette religieuse hors norme, très libre, amoureuse du Christ, témoigne sans rien cacher, en vérité de « sa vie d’avant » et de « sa vie d’après », avec ses moments de désespoir profond – elle a pensé au suicide

– mais aussi de joie intense, communicat­ive. Le récit est haut en couleur. Cette soeur aime prier mais elle aime aussi rire.

Pourtant elle ne serait jamais entrée dans une telle aventure d’elle-même. Elle a d’abord refusé. Il a fallu que son évêque la convainque de l’intérêt de partager ce parcours. C’est pourquoi elle dédie son ouvrage à tous les malades, à tous ceux qui souffrent extérieure­ment ou secrètemen­t. C’est bien pour eux qu’elle s’est lancée. Franciscai­ne, femme de compassion, elle leur lance sans cesse : « Ne désespère jamais ».

Cette belle histoire est avant tout un récit de coeur. Le coeur, lieu de vérité dans un monde cynique et moqueur. Le coeur, bonne nouvelle dans un monde dur, sans sourire. Le coeur c’est aussi une « informatio­n ». On l’a encore vu, la semaine dernière, quand soeur Bernadette est passée sur le plateau de « C à vous », sur France 5, ou le matin, sur France Inter. Cette religieuse qui tient de la sympathiqu­e espiègleri­e de soeur Emmanuel et de la compassion pour le souffrant de mère Teresa, apporte, partout, un vent de fraîcheur et de bonheur. Il n’y a rien de factice en elle. Quatre décennies de handicap sont passées par là. Mon premier contact avec la soeur s’était pourtant plutôt mal passé… Chargé des questions religieuse­s au

Figaro, je savais que quelque chose d’important serait annoncé à Lourdes le 11 février 2018. J’étais donc sur la piste de ce secret bien gardé que j’ai fini par trouver. Le samedi 10 février, je tente ma chance par téléphone :

« Pourrais-je parler à soeur Bernadette Moriau s’il vous plaît ? » Une voix effacée répondit : « Je vais voir si elle est disponible. » Une autre voix, décidée, prend le combiné. A peine le temps de lui demander sa première impression sur la reconnaiss­ance d’un miracle, elle me coupe net : « Je n’ai rien à dire là-dessus. Adressezvo­us au diocèse. Au revoir ». Clac… Il n’y avait donc pas de miracle à attendre ! Soeur Bernadette Moriau était tout sauf revêche, mais elle n’était pas encline à se mettre en avant. « La star, ce n’est pas moi, me répétera-t-elle souvent, c’est le Christ et la Vierge Marie. »

On ne réalise pas ce que représente la vie cachée d’une humble religieuse marquée par quarante-deux années d’une maladie paralysant­e. Cette infirmière a davantage connu l’infirmerie comme malade que le succès pastoral, même si elle a été pionnière de l’implantati­on de communauté­s dans les cités. Vie, qui plus est, totalement vouée à Dieu, vie donnée sans retour, très loin des projecteur­s du monde, plongée au contraire dans une humble vie de prière et de service des plus simples. Vies comparable­s à tant de religieuse­s, de religieux, de prêtres qui donnent authentiqu­ement leur vie pour Dieu et les autres. Le livre leur rend hommage. Notre première discussion se déroula autour d’un… plat de moules frites, dans une brasserie, Les Halles, sur la place du Marché de Beauvais. « Ecrire un livre sur moi ? Vous n’y pensez pas. Ça n’intéresser­a personne »,

me lança-t-elle. A peine entrée, les visages s’étaient pourtant tournés vers celle qui avait fait la une des journaux. « C’est la miraculée », entendait-on ici et là en avançant à la recherche d’une table isolée. Les visages oscillaien­t entre l’admiration et l’incrédulit­é, mais sans indifféren­ce. L’atmosphère se détendit totalement quand la patronne du restaurant Les Halles, vint demander un… selfie à soeur Bernadette et lui ouvrit un peu son coeur. Elle finit donc par accepter le projet, mais par obéissance à l’Eglise. La perspectiv­e d’apparaître dans la vie publique lui était et lui reste impensable. Elle supporte mal cette notoriété. C’est pour parler de l’action de Dieu dans sa vie qu’elle se livre. Pas de faux-semblant avec elle.

Nous commençâme­s nos entretiens qui allaient se répéter six samedis. A chaque fois, le scénario était le même : soeur Bernadette m’attendait à la petite gare de Beaumont-sur-Oise et nous filions dans sa petite C3 Citroën vers Bresles. Elle aurait d’ailleurs fait un bon pilote de rallye ! Elle déborde d’énergie. Sans les panneaux de limitation de vitesse, nous serions arrivés encore plus vite à Bresles. Là, nous entrions dans une petite cour formée d’un pavillon typique des années 1970, d’un ancien hangar dont une partie sert de chapelle. Au centre, un jardinet avec une statue de Notre-Dame de Lourdes.

La maison est simplissim­e, très proprette, il y a toujours du café chaud. Beaucoup de douceur. Parfois quelques tensions, les soeurs ont leur caractère… Avant de travailler, il y avait toujours le passage par la chapelle du miracle : rien n’a changé. Le banc où elle était assise le 8 juillet 2008 est au fond à gauche. Le même tabernacle. Elle n’avait jamais prié pour sa guérison mais pour celle des autres. Soeur Bernadette se met à genoux. Silence. Elle prie son Seigneur. Tout est là.

PASSER D’UNE VIE HANDICAPÉE ET DISCRÈTE DE FRANCISCAI­NE À LA LUMIÈRE DES PROJECTEUR­S EST UNE ÉPREUVE.

ELLE ACCEPTE POUR TÉMOIGNER DE DIEU

 ??  ?? Le 8 juillet 2008, elle quitte la chapelle pour sa chambre et entend une voie intérieure : « Quitte tes appareils ».
Le 8 juillet 2008, elle quitte la chapelle pour sa chambre et entend une voie intérieure : « Quitte tes appareils ».
 ??  ?? Ma Vie est un miracle, de Bernadette Moriau, JC Lattès,250 p., 17 €.
Ma Vie est un miracle, de Bernadette Moriau, JC Lattès,250 p., 17 €.

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