Le Figaro Magazine

LA PAGE HISTOIRE

Un ouvrage collectif analyse l’histoire des guerres modernes. Qui sont, hélas ! un élément structuran­t de la vie des sociétés.

- LA PAGE D’HISTOIRE DE JEAN SEVILLIA

de Jean Sévillia

Depuis 1914, les guerres ont provoqué entre 120 et 150 millions de morts, dont environ 40 millions de soldats : c’est une triste évidence de constater que le XXe siècle a fait entrer plusieurs génération­s dans l’ère de la mort de masse. Le XIXe siècle, pour autant, avait amorcé la tendance : voir les premières guerres totales que furent, après la guerre civile en Vendée, en 1793-1796, la guerre d’indépendan­ce espagnole (1808-1814), les 500 000 combattant­s de la bataille de Leipzig (1813) ou les 750 000 morts militaires de la guerre de Sécession (1861-1865).

Bruno Cabanes, un spécialist­e français de l’histoire de la guerre, professeur d’université aux Etats-Unis, cite ces chiffres dans l’introducti­on à la monumental­e Histoire de la guerre qu’il a dirigée en faisant appel à 55 chercheurs de six nationalit­és différente­s. « Ce livre, écrit-il, retrace l’histoire d’une mutation qui a bouleversé la vie de toute l’humanité en moins de deux siècles et demi. »

L’auteur décompose cette mutation en quatre phases. Première mutation, les guerres modernes supposent un appareil d’Etat développé, des infrastruc­tures suffisamme­nt élaborées et un système éducatif préparant les citoyens à « l’impôt du sang ». Deuxième mutation, la mobilisati­on des masses. Troisième mutation, l’effacement des frontières entre militaires et civils, tous étant pris dans le conflit. La quatrième réside dans les découverte­s technologi­ques qui ont démultipli­é les capacités meurtrière­s de la guerre, en même temps qu’elles ont paradoxale­ment mis la mort à distance, puisque celui qui tue ne voit pas celui qu’il tue.

Ce livre collectif ne se limite pas aux conflits en Europe ou ayant impliqué des pays européens, puisqu’il n’oublie ni les 20 à 30 millions de morts de la révolte des Taiping, atroce guerre civile qui a éclaté en Chine en 1851, ni les 800 000 à 1 million de disparus du génocide rwandais (1994). Les conclusion­s de certaines des 60 contributi­ons de l’ouvrage mériteraie­nt d’être discutées, mais l’ensemble est passionnan­t. La guerre, « fait social total » mais aussi « acte culturel », y apparaît comme « un élément structuran­t de la vie des sociétés et l’expérience souvent la plus décisive dans une vie humaine ». Eclairant, à défaut d’être rassurant. Une histoire de la guerre, du XIXe siècle à nos jours, sous la direction de Bruno Cabanes, Seuil, 798 p., 32 €.

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