Le Figaro Magazine

VIENS VOIR LE COMÉDIEN

- Eric Neuhoff

Malgré le titre, personne ne le prend pour cible. Dans Tirez sur le pianiste, Aznavour tape sur son clavier dans un bar minable. Il n’aime pas que le patron le tutoie. Charlie Kohler a des vues sur la serveuse blonde. Jadis, il a été un virtuose classique. Il s’appelait alors Edouard Saroyan. Truffaut avait dû choisir ce nom en hommage à un écrivain américain et pour saluer les origines arménienne­s de son interprète. A la fin, le musicien a le regard le plus triste du monde. La ser veuse a été tuée dans la neige. C’est le plus beau rôle du chanteur. Aznavour a été notre Sinatra. C’était un Sinatra timide, en imperméabl­e fripé. Il jouait les timides, les modestes. Dans le désert de Libye, il était incapable de réparer le moteur d’une Jeep en panne (Un taxi pour Tobrouk). Un petit vendeur s’offrait une parenthèse enchantée dans la capitale pendant que sa famille était au bord de la mer. C’était Paris au mois d’août. Les Anglaises avaient toutes le sourire de Susan Hampshire. Qu’est-elle devenue ? Dans Les Fantômes du chapelier de Chabrol, il suivait Michel Serrault dans les rues de Concarneau. « Bonsoir monsieur Kachoudas ! » lui lançait ce dernier de sa voix inquiétant­e qui résonnait dans la nuit. Le tailleur en pull riquiqui baissait les yeux. A l’écran, Aznavour était un M. Tout-le-Monde qui ne ressemblai­t à personne. Il a joué Audiard, Fallet, Goodis, Simenon, Balzac. Il aurait pu sortir d’un roman d’Emmanuel Bove. Même en couleurs, ses films avaient toujours l’air d’être en noir et blanc. Cela lui allait bien.

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