LE VERTUEUX, UN MOT D’ORDRE
La pensée éthique n’échappe plus aux designers. Upcycling, écologie, développement durable s’inscrivent désormais dans le vocabulaire de créateurs qui questionnent sans cesse notre futur proche.
Environ 65 000 tonnes de rebuts de matières sont rejetées chaque jour par l’industrie française. Le recyclage est devenu une priorité. Maximum en a d’ailleurs fait sa marque de fabrique. Après un passage chez Merci, à la Paris Design Week et chez Habitat Design Lab, l’entreprise est devenue une référence française en la matière. Sa chaise emblématique, Gravêne, tout en dégradé de couleurs, en est un parfait exemple. Réduit en poudre, le plastique de récupération est ensuite passé dans une machine qui le transforme en spaghettis liquides puis moulés. Le piétement est soit réalisé avec les chutes de NT Bois provenant de chênes d’exception des forêts plantées par Colbert, soit des chutes de tubes des serrureries industrielles. Mais évidemment, c’est du côté des pays nordiques que la notion d’écoresponsabilité est poussée à l’extrême. A Eindhoven (PaysBas), Nadine Sterk et Lonny van Ryswyck, les fondatrices de l’Atelier NL, ont créé une communauté au sens le plus pur, quasi comparable à un laboratoire de recherches. Les deux jeunes femmes y donnent naissance à des objets du quotidien totalement naturels. Leur but ? Mieux comprendre pour mieux agir. Penser global en creusant local. Conséquence, elles ont lancé, pour débuter, des expérimentations sur les matières brutes considérées comme impures par les grands industriels. Pour se souvenir que le verre vient du sable, la vaisselle de l’argile, le papier des plantes. Que peut nous apprendre la matière brute ? Comment la connaissance de l’origine de la matière peut-elle nous aider à l’utiliser à plus grande échelle, à mieux préserver l’environnement ? A la fois archéologues, chimistes et géologues, elles époussettent le sol pour en révéler la vérité cachée. Ainsi, elles ont collecté des échantillons de sables et d’argiles du monde entier pour en dresser une cartographie. Un travail d’archivage remarquable.
DES SAVOIRS SPÉCIFIQUES
Leur première édition de vaisselle en verre a été réalisée avec le sable de Zandmotor, une péninsule artificielle créée en 2011 pour renforcer la côte et distribuer du sable là où elle s’érodait. Encore plus étonnant, l’équipe a conçu plusieurs machines, à l’allure d’alambic, notamment une qui transforme l’argile en objet. La terre passe de tube en tube, d’un pressoir à des tuyaux… Une idée à la Willy Wonka. De même, le duo italien Cara/David s’inspire de l’Afrique, avec son projet d’assises Territorio. Un vrai voyage. « Là-bas, l’homme est forcé de créer avec ce que l’environnement lui propose, il développe des savoirs spécifiques, s’adapte, contrairement au processus industriel. Au-delà de la fonctionnalité, l’objet est aussi un symbole de communication. Il a donc ce rôle d’informer sur la durabilité. »
Pourtant cette acceptation de l’éthique n’était pas un pari gagné d’avance. Victoria Magniant, créatrice française 100 % écologique, se souvient de l’époque où le design écoresponsable n’était qu’une utopie. « Il y a cinq ans, cette pensée était un débat anxiogène. J’étais habituée à être dans la case des produits compliqués. » La jeune femme, entêtée, a pourtant cru en son projet jusqu’au bout ; il faut dire qu’il était ancré en elle. Elle se souvient avec amusement de la première fois qu’elle s’est sensibilisée à la cause : « J’avais 6 ans, je participais à un concours de dessin et j’avais peint une planète protégée par un grand parapluie. Cela m’a valu le premier prix. » Aujourd’hui,
elle est respectée et très demandée. « Les gens et même les hôtels sont prêts à investir dans ce type de mobilier. » Sa collection Daiku, un ensemble de tables, chaises, tabourets en bois massif de Lettonie, est un parfait exemple de réussite éthique. « Là-bas, plus de 50 % du territoire est constitué de forêts gérées. Quand ils coupent, ils replantent. » La créatrice s’est aussi entourée des meilleurs artisans. « Il y a une rigueur partagée, une communauté qui parle le même langage. C’est une boucle vertueuse où les gens s’entraident beaucoup. » Chez Laverdure & Fils, spécialiste parisien des fournitures pour les métiers d’art, elle a tissé de très beaux liens avec la chimiste, entre autres. Ensemble, elles ont créé un Eco-Colorama de 25 coloris non toxiques. « Cette entreprise est restée dans son jus. Quand on entre dans leur échoppe, on se croirait au XIXe siècle, mais je me bats depuis le début pour leur faire réaliser qu’ils ont tout compris, qu’ils sont finalement en avance sur leur époque. Il est temps d’accepter que l’écologie soit un atout. Un petit acteur comme moi peut faire basculer un système à partir du moment où il y a de gros acteurs dans la boucle. » Roxane Lahidji a, elle, pris le contre-pied de la pérennité de l’objet écoresponsable avec ses tables en sel Marbled Salts. Elle a préféré jouer sur l’éphémère, l’intangible, l’immatériel avec un mobilier au cycle de vie restreint. Pendant l’Antiquité, le sel était précieux et coûteux. Depuis la révolution industrielle, il est devenu un produit du quotidien, vendu en supermarché. La jeune créatrice a vu dans ces grains une alternative au marbre, non respectueux de l’environnement. La Française, qui a fait ses classes à la Design Academy d’Eindhoven, a découvert la polyvalence remarquable du sel lors d’un workshop de fin d’études. « Je le travaille comme une céramique, un verre en fusion pour créer une pierre artificielle. » Résultat d’un mélange de 95 % de sel, d’eau, de gomme naturelle et de résine de pin. « J’aime son aspect lumineux, peu mat. » Elle trouve une parfaite harmonie des contrastes
“Il est temps d’accepter que l’écologie soit un atout”
entre les gros grains du sel et le polissage miroir qu’il permet. Le Tchèque Tadeas Podracky a, lui, passé plusieurs mois en résidence au Centre créatif américain du verre, dans le New Jersey. A l’époque, en 2016, toutes les usines de verre avaient fermé à cause de nouvelles réglementations environnementales. Des tas entiers de déchets de verre s’accumulaient. « J’étais impressionné par l’impact visuel que cela donnait. Ils ressemblaient à des icebergs géants. » Le designer en a fait des vases sculpturaux. « Le verre est un liquide chaud qui réagit comme du miel et, soudain, quand il sèche, il se fige. Exactement comme l’eau et la glace. Pour moi, c’est fascinant de voir ce que forme la nature. »