Le Figaro Magazine

SUR LES RIVES DE L’ENFANCE

Cette semaine notre feuilleton­iste a été ému aux larmes par les souvenirs d’une enfance bringuebal­ée.

- LE LIVRE DE FRÉDÉRIC BEIGBEDER

Voici quelques années, Franck Maubert a disparu en Touraine, pour écrire ce petit bijou au bord d’une rivière. Les eaux qui passent donnent au roman son titre. Elles lui remémorent son enfance : il tente de la retenir, la filtrer et la reconstrui­re avec son barrage de mots. Le retour à la nature sert de fil conducteur au livre. Il est amusant de voir cet homme qu’on a connu noctambule parisien, pilier des Bains Douches, se métamorpho­ser en contemplat­eurs d’ancolies et de lupins, en lieu et place des whiskys-coca et des vodkas-cranberry. L’épidémie d’exode urbain tourne au phénomène de société : Simon Liberati a quitté le Palace pour une cabane en forêt, Sylvain Tesson préfère le lac Baïkal à l’escalade de Notre-Dame… et votre serviteur rédige ce papier dans un hamac, suspendu entre deux platanes basques.

Une phrase très simple semble avoir guidé la rédaction de ce livre : « Quand la solitude vous rattrape, ce qu’on aime est dans le passé. » Dans sa thébaïde, Franck Maubert parle à une statue de bois. Il perd un peu la boule, rêve de s’enfoncer dans la rivière qui longe sa maison. Qu’y a-t-il au fond de « l’eau qui passe » ? La vase des souvenirs, les méandres d’une vie sous-marine. Une enfance passée à attendre un père gangster qui n’est jamais venu et une mère intermitte­nte de la maternité. Des parents adoptifs : un Allemand gentil, rescapé de la guerre, et une Polonaise plus coriace, tous deux paysans. Des aventures champêtres dignes de Louis Pergaud, où l’émotion, l’amour et la mort surgissent au coin du bois. Et un kidnapping légal à l’âge de 7 ans, pour déménager chez ses grands-parents. Cette scène d’une violence inouïe déchire le coeur. La France légifère en ce moment sur la procréatio­n médicaleme­nt assistée ; nous suggérons au gouverneme­nt de lire attentivem­ent L’eau qui passe pour entendre la complainte des enfants sans origines fixes. Cela posé, la mélancolie de Maubert lui inspire de si belles pages qu’elle milite presque pour la naissance sous X… « Est-ce que l’on perd son père quand on ne l’a jamais connu et qu’il est de ce monde ? » « Il valait mieux peut-être ne pas avoir de parents. »

Certains géniteurs cruels sont pires qu’un abandon. Un ami de Franck Maubert (Patrick Modiano) a publié plusieurs livres sur la souffrance d’un fils de parents indifféren­ts. Ces deux auteurs ont un point commun : leurs animaux se suicidaien­t à leur place (un chow-chow dans Un pedigree, ici un poisson rouge qui saute hors de son bocal). Ce livre se lit la boule au ventre. A mesure que l’auteur se libère d’un poids, son lecteur tombe enceinte.

L’eau qui passe, de Franck Maubert, Gallimard, 137 p., 13 €.

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