LES RENDEZ-VOUS de J-R Van der Plaetsen

Le grand spécialiste français du rock s’est décidé à écrire ses souvenirs. Et l’on s’aperçoit que nombre d’entre eux font partie de notre mémoire collective.

On a tous quelque chose en nous de Philippe Manoeuvre. C’est qu’il fait partie, avec Léon Zitrone, Jacques Chancel ou Patrick Poivre d’Arvor, de ces journalistes qui ont fini par incarner un fragment de notre mémoire collective. Il entre dans ce privilège beaucoup de talent, bien sûr, mais aussi une condition aléatoire rarement remplie qui est la rencontre avec la sensibilité d’une époque. Philippe Manoeuvre n’est certainement pas l’homme qui a fait arriver le rock en France, mais il est celui qui nous l’a expliqué.

Sa vie ressemble à celles de ces rock stars qu’il admire et dont il parle avec une fascination désabusée parce qu’il les connaît toutes et si bien. Son recueil de souvenirs dessine une carte du Tendre du rock. Il est aussi intéressant de recenser les stars qui figurent dans cette succession de chapitres fiévreux que de s’interroger sur l’absence de certaines autres. Philippe Manoeuvre a un faible pour les Rolling Stones, Iggy Pop et les Sex Pistols, mais aussi pour Michael Jackson, Prince et Madonna. Il aime les grands écarts, en quelque sorte. Côté français, Gainsbourg, Johnny, Polnareff et JoeyStarr occupent les marches de son podium intime. L’écouter égrener ses souvenirs produit sur la mémoire un étrange effet, similaire à celui de la madeleine de Marcel Proust. Philippe Manoeuvre connaît toutes les faces B des 45tours, dispose d’une formule pour définir chaque acteur de la longue histoire du rock, et d’un chiffre pour dire le reste. Exemple : « Johnny était à la fois le chaman et le patriarche du rock français. Il a vendu 100 millions d’albums au cours de sa carrière quand Bowie est parvenu à atteindre 125 millions dans le monde. Mais notre rocker national compte 28 albums live à son actif et aucun autre artiste ne dispose à ce jour d’un tel palmarès. » En prenant congé de cet homme qui ne quitte jamais ses lunettes noires, on se dit que le rock ne peut pas mourir parce que ses enfants ne vieillissent pas.

La phrase du livre à retenir (p. 201)

“Les dieux ont foulé notre terre, nous avons eu beaucoup de chance”