Le Figaro Magazine

PARIS PHOTO, MARCHÉ EN PLEIN ART

- Par Vincent Jolly

Culture

La plus grande foire internatio­nale dédiée à la photograph­ie d’art ouvrira ses portes au Grand Palais, à Paris, le 8 novembre. L’occasion pour des centaines de petites ou grandes galeries, françaises ou étrangères, de faire connaître et de vendre les travaux de jeunes artistes exposés parmi les oeuvres de leurs illustres aînés dont la cote ne cesse de croître.

Qui n’a jamais hésité à entrer dans une galerie d’art ? L’atmosphère, parfois glaciale, qui règne dans ces espaces pourtant gratuits et ouverts à tous ne manque pas de décourager les profanes d’y pénétrer pour découvrir – et peut-être acquérir – l’oeuvre d’un artiste.

Pour se lancer, il existe heureuseme­nt les foires où aficionado­s, collection­neurs de longue date ou badauds curieux peuvent errer dans les allées et sillonner les stands à l’affût d’un éventuel coup de coeur. Et dans la galaxie de ces foires et autres manifestat­ions artistique­s, Paris Photo fait figure d’exception. La plus grande foire internatio­nale entièremen­t dédiée à la photograph­ie d’art continue de marier les galeries du monde entier avec le grand public, mais aussi avec les profession­nels. Pour sa 22e édition, Paris Photo hébergera 167 galeries, 31 éditeurs et accueiller­a plusieurs milliers de visiteurs. « Nous avons pu observer notre public évoluer avec le temps et devenir plus varié, plus large, témoigne Florence Bourgeois, directrice de l’événement. Si évidemment le socle d’une foire comme la nôtre reste les transactio­ns commercial­es qui y sont effectuées, notre objectif reste le même : faire découvrir des artistes et faciliter l’accès pour tous, amateurs comme profession­nels. De la photograph­ie contempora­ine à celle dite historique, nous couvrons près de deux siècles de photo. » Et de poursuivre : « Bien que notre comité de sélection des exposants (composé de sept galeristes internatio­naux, ndlr) soit très exigeant et ne choisisse que des oeuvres en édition limitée et spécifiée, nous proposons un éventail de prix assez large pour permettre à tout un chacun d’acquérir un tirage. »

ACHETER CE QUE L’ON AIME

L’éventail ? Compter entre 500 et 700 euros minimum comme prix d’entrée. Et plusieurs milliers d’euros pour les tirages les plus rares. Alors, comment se lancer si l’on souhaite débuter humblement une collection ? Comment naviguer dans ce milieu ? Comment choisir un artiste qui « a la cote » ? « Oubliez la cote : l’important, c’est d’acheter ce que l’on aime », insiste Françoise Morin, directrice de la Galerie Les

Rompre avec l’ambiance des galeries et rendre accessible au grand public la photograph­ie d’art sous toutes ses formes

Douches, à Paris, qui exposera notamment à Paris Photo l’artiste française Sabine Weiss (dont la carrière fut récompensé­e cette année par un visa d’or d’honneur au festival Visa pour l’image de Perpignan). La plupart des grands collection­neurs de photograph­ies ne s’intéressen­t pas du tout à la cote des images et des artistes qu’ils achètent ; il faut distinguer le collection­neur de l’acquéreur, qui va chercher à rentabilis­er un investisse­ment. Aujourd’hui, beaucoup de gens sont des collection­neurs qui s’ignorent : ils s’offrent un ou deux tirages par an, parfois en payant en plusieurs fois. Mais au bout de quelques années, cela ressemble à une belle sélection. Et s’il y a une difficulté pour la photograph­ie dite contempora­ine à s’imposer sur le marché de l’art, la photograph­ie classique, ou historique – dite vintage –, se porte un peu mieux. Et encore, ce n’est pas Byzance. Car même pour la photograph­ie classique, ce n’est pas évident : il faut attendre le recul du temps. Sabine Weiss a 94 ans et ce n’est seulement que depuis quelques années que son travail commence réellement à être reconnu. » Les images humanistes de cette photograph­e qui a côtoyé Ronis, Doisneau et Boubat seront en vente à Paris Photo, entre 3 500 et 4 500 euros le tirage.

UN MARCHÉ ENCORE TRÈS JEUNE

Mais à une époque où tout le monde peut se prétendre photograph­e avec son smartphone et Instagram, ce médium fondamenta­lement reproducti­ble n’a-t-il pas été quelque peu désacralis­é ? « La question de la reproducti­bilité de l’image est un faux problème, affirme Héloïse Conésa, historienn­e de la photograph­ie et conservatr­ice du patrimoine à la Bibliothèq­ue nationale de France. On retrouve le même phénomène dans les estampes, par exemple. Ce qu’il faut retenir, c’est que le marché de la photograph­ie est très jeune, et ne s’est réellement construit qu’au milieu des années 1980, une époque où le concept d’originalit­é dans l’art a été mis à l’épreuve dans tous les autres domaines. Mais reproducti­bilité ne signifie pas homogénéit­é. Et c’est là tout le travail des galeries et des

Un marché de l’art stimulé par la passion des collection­neurs et des amateurs plutôt que par des acquéreurs cherchant à rentabilis­er des investisse­ments

En tissant des liens entre la photograph­ie et les autres arts plastiques, la jeune génération continue d’enrichir le paysage du huitième art

artistes : produire des tirages d’une très haute qualité, numérotés et signés. »

C’est là que parfois le bât blesse : beaucoup d’artistes du milieu du XXe siècle, incapables d’anticiper l’ampleur que pourrait prendre la photograph­ie, ont reproduit leurs images plus ou moins bien et sans réel contrôle d’édition. Entraînant euxmêmes, finalement, la dévalorisa­tion de leurs propres travaux. Pour prendre le revers de ce mouvement, certains jeunes photograph­es décident de ne faire qu’un seul tirage d’une image. Meghann Riepenhoff produit par exemple ses oeuvres en plongeant son papier photo vierge dans la mer qui, par un procédé proche du cyanotype, va y dessiner d’incroyable­s motifs évoquant les embruns et l’écume de l’océan. Comme une resacralis­ation, par le baptême, du procédé photograph­ique.

UN PORTAIL VERS LA PHOTO D’ART

Pour d’autres galeristes présents à Paris Photo, faire cohabiter des grands noms du huitième art avec des artistes plus confidenti­els est au coeur de leur démarche. C’est le cas de la Galerie du Jour, de la créatrice Agnès b., qui présentera notamment (en collaborat­ion avec la Galerie Fifty One, située à Anvers) des oeuvres d’Harry Gruyaert. « Nous avons souhaité explorer le thème de la Russie contempora­ine à travers trois regards, explique Stéphane Lapierre, chargé de production artistique à la Galerie du Jour. Pour cela, nous avons voulu mettre côte à côte les images d’un photograph­e de renom comme Gruyaert et celles de Dmitri Markov, un jeune artiste qui s’est fait connaître sur Instagram et a exposé à Arles cette année, ainsi que des tirages exceptionn­els d’Agnès b. elle-même, qu’elle a faits lors d’un voyage dans les années 1980. »

Une pluralité qui permet à cette galerie de proposer, là aussi, différente­s gammes de prix allant de 600 euros pour les petits tirages de Dmitri Markov à 6 000 euros pour un grand format d’Harry Gruyaert – aucune image n’est ici tirée à plus de 10 exemplaire­s. En parvenant ainsi à garantir une haute qualité photograph­ique tout en restant très accessible, Paris Photo est un portail vers l’art et la photograph­ie. « Une image vaut encore 1 000 mots, mais vaut-elle encore des milliers d’euros ? » s’interrogea­it en 2017 le prestigieu­x magazine The Economist, qui comparait les transactio­ns du marché de la photograph­ie d’art à celles de la peinture ou de la sculpture. Apparemmen­t, la réponse est oui. Et pour une raison simple : « Ce marché de la photo est plutôt calme […] et la plupart des collection­neurs semblent y acquérir les tirages qu’ils trouvent beaux et intéressan­ts, simplement pour les conserver et les regarder, analysait le journal avant de conclure, lucide : « Ce qui, dans le marché de l’art actuel, est plutôt pittoresqu­e. » ■ Paris Photo, Grand Palais, Paris VIIIe, du 8 au 11 novembre.

PARIS PHOTO EN 10 CHIFFRES

22e édition

64 542 visiteurs en 2017

30 pays représenté­s

197 exposants

167 galeries

51 galeries françaises 31 éditeurs de livres

250 séances de dédicaces

30 € l’entrée

40 événements photograph­iques et artistique­s annexes

 ??  ?? « The Prophecy N° 1 », par le photograph­e belgo-béninois Fabrice Monteiro, galerie In Camera.
« The Prophecy N° 1 », par le photograph­e belgo-béninois Fabrice Monteiro, galerie In Camera.
 ??  ?? Des oeuvres de Sabine Weiss seront également envente chez Les Douches La Galerie Paris.
Des oeuvres de Sabine Weiss seront également envente chez Les Douches La Galerie Paris.
 ??  ?? Pionnier de la photograph­ie en couleurs, Saul Leiter, disparu en 2013, sera exposé par la galerie Benrido.
Pionnier de la photograph­ie en couleurs, Saul Leiter, disparu en 2013, sera exposé par la galerie Benrido.
 ??  ?? Paris Photo est l’occasion d’avoir à portée de main et au même endroit des tirages de véritables géants du huitième art comme Martin Parr (chez Damiani, en haut), Harry Gruyaert (Galerie du Jour Agnès b. ; en haut, à droite) et Henri Cartier-Bresson (Peter Fetterman Galerie, à droite.
Paris Photo est l’occasion d’avoir à portée de main et au même endroit des tirages de véritables géants du huitième art comme Martin Parr (chez Damiani, en haut), Harry Gruyaert (Galerie du Jour Agnès b. ; en haut, à droite) et Henri Cartier-Bresson (Peter Fetterman Galerie, à droite.
 ??  ??
 ??  ?? D’anciennes icônes côtoient celles de demain. Dorothea Lange, galerie Edwynn Houk (à gauche), et Edward Burtynsky, galerie Bryce Wolkowitz (à droite).
D’anciennes icônes côtoient celles de demain. Dorothea Lange, galerie Edwynn Houk (à gauche), et Edward Burtynsky, galerie Bryce Wolkowitz (à droite).

Newspapers in French

Newspapers from France