LECTURE/POLÉMIQUE
Et si l’extension infinie des droits, loin d’émanciper les individus, était au contraire un piège pour la liberté ? C’est la question à laquelle tente de répondre Muriel Fabre-Magnan dans un essai qui mêle droit et philosophie.
Extension du domaine du droit
Fidèle à une tradition bien connue des étudiants de droit, Muriel FabreMagnan accroche son lecteur par une citation d’une rare pertinence, et reprend ce bon mot de Simone de Beauvoir :
« Une liberté qui ne s’emploie qu’à nier la liberté doit être niée. » Dans L’Institution de la liberté, le professeur de droit revisite l’histoire de la construction de la liberté moderne. « La liberté, qui était au coeur d’un projet politique commun, s’est progressivement transformée en droit individuel, et elle est devenue un droit subjectif », résume-t-elle. Elle ajoute que, du point de vue des libertés individuelles :
« Le bilan n’est pas net : si de nouvelles libertés ont été conquises, elles se payent par la disparition d’anciennes libertés. »
Selon l’auteur, les libertés nouvellement acquises ne justifient pas le nombre croissant de contraintes et d’interdits qui pèsent désormais sur chacun, à force de voir le droit s’immiscer toujours plus dans la vie intime des personnes. Certains prétendent même, au nom des droits des femmes, régir jusqu’au partage des tâches conjugales dans les couples !
Muriel Fabre-Magnan déconstruit alors la liberté moderne entendue comme liberté positive. Cette liberté tend, selon elle, à devenir « tyrannique », car, sous prétexte qu’elle s’appuie sur le « consentement » des sujets, elle tend à servir de prétexte pour justifier les pires atteintes aux droits de l’homme. Les exemples ne manquent d’ailleurs pas : la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a récemment obligé la France à inscrire à l’état civil les enfants nés par GPA à l’étranger – et peu importe si le droit français considère encore cette pratique comme portant atteinte au principe d’indisponibilité du corps humain. C’est aussi au nom de cette extension du domaine de la liberté qu’on assiste, non plus seulement à l’effondrement d’un nombre sans cesse croissant d’interdits, mais également à une surenchère dans la demande de nouveaux droits. Ce qui ne laisse pas de susciter des doutes. « Il faut en effet, pour qu’il y ait un droit, un débiteur tenu d’exécuter quelque chose »,
précise l’auteur. Et d’ajouter, caustique : « La CEDH inclut dans le droit à l’autonomie personnelle un “droit d’entretenir des relations sexuelles”. Mais qui est le débiteur d’un tel droit ? L’Etat ? Celui-ci devrait-il organiser un service public de relations sexuelles ? »
Muriel Fabre-Magnan remet en cause avec une pertinence salutaire les « mythes fondateurs des droits de l’homme », et égratigne nombre de nos convictions modernes les plus fondamentales. Au-delà des questions purement juridiques, elle interroge également l’aspect philosophique de la notion de liberté dans le sillage de Pierre Manent. Ce qui aurait pu n’être qu’un ennuyeux cours de droit devient alors une magistrale leçon de vie. L’Institution de la liberté, par Muriel FabreMagnan, PUF, 352 p., 21 €.