Le Figaro Magazine

LE THÉÂTRE

Une étonnante rencontre en 1959 sur le yacht d’Onassis entre Churchill et Greta Garbo. Avec deux grandes figures du théâtre.

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de Philippe Tesson

Il y a longtemps que Niels Arestrup avait envie de jouer le personnage de Churchill. On le comprend : il y a quelque chose en commun entre les deux hommes, une force, une rogne, la gueule. Et puis, interpréte­r un mythe, quelle jouissance ! Encore fallait-il trouver un prétexte, un argument. Isabelle Le Nouvel l’a fait en exploitant une anecdote incertaine, la rencontre en 1959 entre Greta Garbo et Churchill, qui avait quitté le pouvoir depuis quatre ans, au cours d’une croisière en Méditerran­ée sur le yacht d’Onassis. L’auteur imagine une conversati­on brûlante entre les deux passagers, sans disposer du moindre document qui en atteste la véracité. Mais telle n’est pas sa prétention. Et d’ailleurs, jamais son spectacle ne cède à la tentation de la ressemblan­ce ou de l’imitation. La connaissan­ce qu’Isabelle Le Nouvel possède du contexte historique de cette anecdote, jointe à sa propre sensibilit­é d’écrivain, suffit à nourrir l’intrigue et le dialogue qu’elle invente. Elle le dit elle-même, et c’est très honnête, ce qui tisse le lien entre les deux personnage­s est fait surtout de ce qu’ils ressentent l’un en face de l’autre, étant ce qu’ils sont, c’est-à-dire les héros d’une légende exceptionn­elle, venant d’où ils viennent, c’est-à-dire d’une éducation sévère, et enfin héritiers d’un passé qui les oblige. Ce sont là les thèmes qui inspirent leur échange, et c’est le dernier de ces thèmes qui va provoquer entre eux un malentendu presque dramatique : Churchill, alors âgé de 81 ans, perclus de douleurs et très diminué intellectu­ellement, mais doué d’une énergie considérab­le, cependant déterminé à poursuivre sa tâche et son devoir jusqu’à la mort, et face à lui Greta Garbo, alors âgée de 54 ans et que l’échec de son dernier film avait amenée à mettre fin à sa carrière. On aura compris que le sujet majeur de la pièce est le renoncemen­t. Mais on n’est pas dans le théâtre d’idées. On est dans le théâtre du sentiment, et par-là même du charme. Du charme mélancoliq­ue. Un vieillard illustre oppose son expérience au désabuseme­nt d’une artiste encore jeune et illustre. On est surtout dans le théâtre d’acteurs. La pièce l’exige. Elle a été écrite pour eux, et c’est évidemment un festival, étant qui ils sont. Lui, Niels Arestrup, un animal de luxe. Elle, Ludmila Mikaël, une élégance de rêve. La grâce incarnée. Ils sont dirigés, eux deux et un valet de grand style, Baptiste Roussillon, par Jean-Louis Benoît, qui met souveraine­ment en scène ce spectacle où tout, comme le décor de Jean Haas ou les lumières de Joël Hourbeigt, n’est que qualité. Skorpios au loin, d’Isabelle Le Nouvel. Mise en scène de J.-L. Benoît. Avec N. Arestrup, L. Mikaël... Bouffes Parisiens (01.42.96.92.42).

On est ici dans le théâtre du sentiment

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LE THÉÂTRE DE PHILIPPE TESSON

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