UNE FEMME SOUS INFLUENCE
★★★ MAUVAIS JOUEURS, de Joan Didion, Grasset, 217 p., 19 €. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Rosenthal.
C’est une femme de 31 ans qui est dans un hôpital psychiatrique et tente de raconter comment elle en est arrivée là. Elle a été actrice dans deux films underground réalisés par son mari, dont la carrière décolle alors que la sienne s’étiole. Nous sommes à Los Angeles, à la fin des années 1960. Maria est en chute libre. Avant l’hôpital, il y a eu la dépression, le divorce, le suicide d’un ami. Et sa petite fille Kate, internée car elle a « un composé chimique
aberrant dans le cerveau ». Maria a beaucoup erré, en voiture sur les autoroutes bondées de L.A., poussant parfois jusqu’à Vegas. Seule ou accompagnée le temps de rencontres durant rarement plus d’une nuit. Il lui arrive de marcher pieds nus. L’alcool et les drogues ne font que souligner sa déchéance.
Elle est obsédée par les crotales et les oiseaux-mouches. Le reste est désespérant : sa mère est morte dans un accident de voiture, son père n’a pas tardé à la rejoindre.
Sorti en 1970 (et publié en 1973 chez Julliard sous le titre parfait de Maria avec et sans rien),
Mauvais joueurs montre une Joan Didion au sommet de son art. En accumulant des chapitres secs et rêches de quelques pages, elle signe un portrait de femme sidérant, perdue dans une dérive où les paillettes d’Hollywood sont comme des éclats de miroir brisé réfléchissant les morceaux pareillement cassés de sa personnalité. On pense beaucoup à Wanda, le chef-d’oeuvre de Barbara Loden. On pense aussi que Joan Didion est l’un des écrivains les plus singuliers de son temps.