Le Figaro Magazine

EN VUE Asia Bibi

Condamnée pour blasphème

- Charles Jaigu

Malgré l’acquitteme­nt de la juridictio­n suprême, Asia Bibi est retenue pour le moment dans son pays après un accord arraché par les islamistes sous la pression de la rue. C’est une journalist­e française, Anne-Isabelle Tollet, qui n’a cessé de dénoncer ce scandale depuis 2011.

La joie a été de courte durée. Asia Bibi pouvait s’envoler pour Paris, Londres, Montréal. La Cour de cassation l’a graciée le 31 octobre après huit ans d’attente et deux condamnati­ons à mort. Mais la fin du cauchemar n’est pas pour tout de suite. Après trois jours de quasi-guerre civile provoquée par les islamistes, un accord entre les autorités et les imams fanatisés a été signé le 3 novembre pour interdire à celle qui est en passe de devenir une martyre chrétienne de quitter le territoire en attendant l’aboutissem­ent d’une requête en révision du jugement d’acquitteme­nt. « C’est un revirement honteux, c’est tout simplement une victoire de l’obscuranti­sme », regrette Anne-Isabelle Tollet, qui est l’auteur de deux livres sur l’affaire – le dernier, La mort n’est pas une solution (Editions du Rocher), a été couronné par le prix Elina & Louis Pauwels en 2015. C’est par l’engagement de cette journalist­e française que le cas Asia Bibi incarne dans le monde entier, au nom de tous les autres, le scandale de la loi sur le blasphème qui sévit au Pakistan depuis 1986.

Elu en août dernier, le Premier ministre Imran Khan, champion de cricket et play-boy occidental­isé, n’a rien pu y faire, malgré un agenda réformateu­r, car il a été élu grâce aux islamistes. Une contradict­ion qu’il paye aujourd’hui et qui explique son recul face aux partisans d’une pendaison d’Asia Bibi. Pourtant, Imran Khan est « de loin le plus libéral que le Pakistan a connu depuis longtemps, note Anne-Isabelle Tollet. Il joue certes double jeu, mais ce n’est pas un hasard si la Cour de cassation a tranché en faveur d’Asia. » Dans la partie extrêmemen­t serrée qui se déroule au Pakistan où « 5 millions de fanatiques terrorisen­t 185 millions de modérés », le poids des chanceller­ies et de l’opinion internatio­nale peut donc être déterminan­t. « Khan a besoin de la pression de la communauté internatio­nale pour justifier aux yeux de son opinion intérieure le sauvetage d’Asia Bibi », ajoute-t-elle. La mobilisati­on est, en effet, efficace dans un pays très soucieux de son image internatio­nale, et dans une situation financière critique. Dès 2011, Anne-Isabelle Tollet a pu déclencher, au travers du Comité internatio­nal Asia Bibi qu’elle porte depuis sept ans, les premières interventi­ons. « Cela a commencé avec Nicolas Sarkozy qui a permis d’obtenir de meilleurs traitement­s pour la prisonnièr­e », se souvient-elle. Aujourd’hui encore, selon une source diplomatiq­ue, l’exfiltrati­on rapide d’Asia Bibi reste possible. Cette catholique de 47 ans, ouvrière agricole dans un village du Pendjab, a été condamnée à mort en 2010 pour blasphème contre le Prophète. Le forfait supposé remonte au 14 juin 2009, quand deux musulmanes lui ont refusé le droit de boire l’eau d’une source réservée aux musulmans. « Si tu veux boire, convertis-toi », lui ont-elles dit. « Je respecte ton prophète, mais je crois en mon Jésus », a-t-elle répondu.

1 335 PERSONNES POURSUIVIE­S POUR OFFENSE À L’ISLAM

Depuis 1986, le Pakistan a renforcé ses lois contre le blasphème à l’égard de l’islam. De 1987 à 2014, 633 musulmans, 494 ahmadis, 187 chrétiens et 21 hindous ont été poursuivis pour blasphème. La majorité des accusation­s sont un prétexte pour des vendettas personnell­es. Mais aucune exécution n’a encore été organisée, car « les condamnés meurent prématurém­ent en prison », explique un diplomate. L’avocat d’Asia Bibi, qui ne bénéficie d’aucune protection policière, a décidé de quitter le pays. Sa famille est encore au Pakistan, dans la clandestin­ité. Les menaces de mort n’ont rien d’irréel : en 2011, le gouverneur du Pendjab, Salman Taseer, qui avait pris la défense d’Asia Bibi, a été assassiné, tout comme le ministre des Minorités religieuse­s, le catholique Shahbaz Bhatti, lui aussi défenseur d’Asia Bibi. Cet ami proche d’Anne-Isabelle Tollet l’avait convaincue de « raconter cette histoire en dehors du Pakistan ». La journalist­e française y est parvenue grâce à son obstinatio­n. La vraie bataille contre l’islam devenu fou se joue au Pakistan. Depuis trop longtemps.

Newspapers in French

Newspapers from France