LECTURE / POLÉMIQUE Les leçons de Napoléon et de Charles de Gaulle
Napoléon et de Gaulle continuent d’éclairer la politique française. La preuve à travers deux essais stimulants qui font redécouvrir ces figures dont on croyait déjà tout connaître.
Pour avoir élevé notre nation au-dessus d’elle-même, Napoléon et de Gaulle restent deux figures centrales de l’imaginaire français. En temps de crise, leur ombre est omniprésente. L’année dernière, l’historien Patrice Gueniffey avait réuni ces deux héros dans un même ouvrage(Perrin). Hasard du calendrier, les livres d’Arthur Chevallier (1) et de Jean-Louis Thiériot (2) sont parus à quelques jours d’intervalle. Ces deux essais méritent d’être rapprochés. Tous deux explorent le passé pour interroger le présent. Tous deux mêlent avec style histoire et réflexion idéologique. Tous deux dressent des portraits inattendus d’hommes dont on croyait tout connaître.
Pour Arthur Chevallier, Napoléon n’est ni le tyran que voit en lui une certaine gauche, ni l’homme d’ordre dans lequel se reconnaît une partie de la droite. De Napoléon, on retient généralement son génie militaire, son tempérament ou sa pratique du pouvoir. Arthur Chevallier insiste sur sa dimension révolutionnaire et fait de lui le prototype du héros moderne. Sa principale force réside dans sa capacité à comprendre son époque et à l’incarner. Les révolutionnaires avaient proclamé un ordre nouveau fondé sur le mérite et non plus sur la naissance. Napoléon va transformer les paroles en actes. Il va prouver qu’un enfant du peuple peut devenir chef de l’Etat. Et quel chef de l’Etat ! Le coût humain des guerres fut lourd, mais les Français l’acceptèrent : c’était le prix à payer pour un idéal les dépassant – celui d’un nouveau monde dont la France était l’inspiratrice et le centre de gravité.
Le de Gaulle de Jean-Louis Thériot est tout aussi original. Plutôt que l’homme du 18 juin ou le fondateur de la Ve République, il s’intéresse au « réformateur » car, de 1958 à 1969, il fut l’instigateur du redressement économique spectaculaire d’une France au bord de la faillite. Libéral convaincu, Thiériot tire de Gaulle vers lui. Il dépeint un chef de l’Etat adepte de la rigueur budgétaire (après une ultime dévaluation de 17,5 %, tout de même !), au détriment du de Gaulle du programme du CNR adopté en 1944 en bonne entente avec le PCF. Il met l’accent sur l’ouverture à la concurrence européenne, mais reste muet sur la politique de la chaise vide. Qu’importe, Thiériot vise juste lorsqu’il souligne la cohérence et l’ambition du célèbre plan Pinay-Rueff. La politique économique du général de Gaulle se distinguait alors par une vision globale au service d’un objectif : la souveraineté et la grandeur françaises. Comme Napoléon, il avait compris les bouleversements de son époque. La France, vieux pays agricole, devait basculer dans l’ère industrielle et y jouer les premiers rôles. Là encore, les Français acceptèrent les sacrifices car c’était au nom d’un dessein plus grand.
(1) Napoléon sans Bonaparte,
d’Arthur Chevallier, Editions du Cerf, 240 p., 19 €.
(2) De Gaulle, le dernier réformateur, de Jean-Louis Thiériot, Tallandier, 208 p., 13,50 €.