“SANS FAMILLE” ...MAIS AVEC AUTEUIL Cinéma
Le 12 décembre sortira sur les écrans français « Rémi sans famille », nouvelle adaptation du chef-d’oeuvre d’Hector Malot qui, depuis 1878, a ému des générations de jeunes lecteurs. Choses vues et entendues durant le tournage en pays occitan.
Dressé sur un piton rocheux à une cinquantaine de kilomètres d’Albi, le village de Castelnau-deMontmiral domine les champs et les forêts de chênes qui s’étalent alentour. Le temps semble n’avoir pas de prise sur les ruelles pavées de cette petite commune bâtie il y a près de huit cents ans et classée parmi les plus beaux villages de France. En ce début de mois de mai, sur la place des Arcades, on se croirait revenu à la fin du XIXe siècle un jour de marché. Des bourgeois en costume discutent dans un coin, des paysans en sabots s’affairent plus loin, au milieu des vaches et des agneaux. Au centre de toute cette agitation, entouré de badauds émerveillés, sous des banderoles de différentes couleurs traversant la place de part en part, on reconnaît – malgré son déguisement et la grosse barbe blanche qui lui mange le visage – le comédien Daniel Auteuil, en train d’exécuter sous les applaudissements de la foule, un numéro de saltimbanque avec un chien.
Le charme est soudain rompu par un cri. Le réalisateur Antoine Blossier vient de crier « Coupez ! » et fend la foule en direction de l’acteur pour lui parler. Ce grand bonhomme d’à peine 40 ans a déjà à son actif deux longsmétrages très différents (le drame fantastique La Traque et la comédie adolescente A toute épreuve), dont on ne peut pas dire qu’ils aient brillé au box-office, mais qui l’ont incontestablement fait remarquer au sein de la profession, notamment pour son sens de la narration visuelle. Il se retrouve aujourd’hui aux commandes de son projet le plus ambitieux : Rémi sans famille.
UNE RECONSTITUTION À LA FOIS MINUTIEUSE ET POÉTIQUE DE LA FRANCE DU XIXe SIÈCLE
UNE MINE POUR LE CINÉMA ET LA TÉLÉVISION
Il s’agit d’une adaptation du roman Sans famille d’Hector Malot, ce classique publié en 1878 qui narre les aventures d’un petit orphelin parcourant la France à la recherche de ses origines, en compagnie d’un vieux troubadour baptisé Vitalis et de ses animaux, le chien Capi et le petit singe Joli-Coeur. Ce récit très populaire, qui a ému des générations de lecteurs, a déjà fait l’objet de nombreuses adaptations cinématographiques et télévisées, et pas seulement en France, puisqu’on compte aussi parmi elles un téléfilm russe, une série marocaine et surtout une série animée japonaise, réalisée il y a plus de quarante ans et devenue un véritable objet de culte depuis sa diffusion à la télévision française dans les années 1980. Réalisée par Osamu Dezaki (à qui l’on doit d’autres séries tout aussi renommées chez nous, comme Lady Oscar, L’Ile au trésor ou
Cobra), Rémi sans famille est une véritable source d’inspiration pour Blossier, qui lui rend hommage jusque dans le costume de son petit héros et le titre de son film. Mais si cette série et le roman dont elle s’inspirait faisaient la part belle à une mélancolie exacerbée, on devine que les producteurs de cette nouvelle adaptation ne souhaitent pas trop associer cette image de tire-larmes à leur film, de peur de rebuter les spectateurs. Nathalie Toulza-Madar, directrice générale de TF1 Films Production et TF1 Studio, deux filiales de la chaîne de télévision qui coproduisent le film, est en visite sur le plateau ce jour-là. Devant son insistance à tenter de nous convaincre que le film sera avant tout solaire et positif, on comprend que la tristesse, pourtant inhérente à l’histoire du petit orphelin, la gêne quelque peu. Eric Jehelmann, jeune producteur éclectique à qui l’on doit le polar Pour elle ou le succès La Famille Bélier, a moins de complexes à évoquer cette noirceur inhérente à l’histoire de Sans famille : « Avec Antoine Blossier, on s’est retrouvés dans le rapport intime que nous avions avec la série animée japonaise. Mais, au départ, et c’est ce qui explique sans doute le fait que personne ne s’était encore lancé dans une nouvelle adaptation, cette série a tellement marqué les gens que l’on craignait son côté un peu anxiogène, un peu trop triste pour des enfants d’aujourd’hui. Antoine a alors eu une superbe idée en décidant de faire raconter l’histoire par un Rémi vieux, interprété par Jacques Perrin, et j’ai trouvé que cela désamorçait quelque peu la tristesse de l’histoire, que cela lui donnait une autre résonance. Quoi qu’il arrive à Rémi, on sait qu’il va survivre : on est davantage dans sa force de vie, dans sa capacité à aller de l’avant, que dans la calamité des situations qui s’abattent sur lui. Il ne s’agissait donc pas d’édulcorer l’histoire, on souhaitait vraiment rester axés sur un récit d’initiation classique avec toutes les épreuves que cela entraîne, mais en mettant en avant la force de Rémi. On ne voulait pas en faire une victime. »
LA FLAMBOYANCE VISUELLE D’UN VRAI CONTE
Mais ce n’est pas la seule source d’inspiration de ce cinéaste cinéphile qu’est Antoine Blossier. Entre deux prises, il nous montre son « moodboard », un livre de 60 pages contenant sa note d’intention visuelle, images de films, gravures et peintures à l’appui. On y croise un certain nombre de titres de son dieu vivant Steven Spielberg (dont Empire du soleil, autre film sur l’enfance abîmée), la saga Harry Potter ou le Pinocchio de Walt Disney. Souhaitant ouvertement donner à son film la flamboyance visuelle d’un vrai conte, il avoue : « J’ai proposé le projet à mon producteur en lui disant que je voulais réaliser un film patrimonial français à la sauce Disney des années 1930 pour le public du Seigneur des anneaux ! J’avais vraiment envie d’éviter une certaine esthétique télévisuelle, je voulais que la notion d’émerveillement soit présente à l’écran dans chaque scène. »
LE RÉCIT D’INITIATION À LA VIE D’UN ORPHELIN
SURMONTANT SES (NOMBREUX) MALHEURS
Ce parti pris semble présent à tous les niveaux du projet, dans tous les départements, comme nous le confirme Lisa, une ensemblière chargée d’installer sur le plateau le mobilier imaginé par le chef décorateur : « La scène sur laquelle j’ai pris le plus de plaisir à travailler est celle où Vitalis emmène Rémi dans un magasin qui fait cordonnerie, mercerie et tailleur pour lui choisir de nouveaux vêtements. C’est à la fois un moment important dans le scénario, parce que c’est là que Rémi se transforme en petit troubadour, et un décor intéressant à créer car c’était une boutique de conte, un peu plus approvisionnée qu’une vraie échoppe de village à cette époque. Il fallait la rendre un peu magique. »
Dans un coin, Daniel Auteuil fait une pause. Il vient d’enchaîner plusieurs prises d’une scène où il jongle avec le chien Capi, fidèle compagnon du vieux Vitalis. La barbe imposante, le front surmonté d’une cicatrice et le poitrail serré dans un magnifique gilet mauve brodé à la main, l’acteur en impose. Il nous explique que, trois ou quatre ans auparavant, il avait justement retrouvé dans ses affaires l’édition de Sans famille qu’il avait lue et relue
enfant. Avec, à l’intérieur, un mot de sa mère : « Pour Dany, à lire plus tard. » Un signe peut-être. En tout cas, l’acteur de Jean de Florette et du Bossu semble ravi de se glisser à nouveau dans le costume d’un personnage appartenant à l’imaginaire romanesque français. « Il y a quelque chose de très touchant dans ce mélodrame sur un orphelin qui va trouver un père ayant lui-même perdu sa famille. C’est à la fois très triste et plein d’espoir, ça montre comment le courage permet de surmonter le malheur. Il n’est pas étonnant que cette histoire ait traversé les époques et qu’on soit allé la rechercher aujourd’hui. » Juste avant de repartir sur le plateau, Auteuil loue les qualités visuelles de son metteur en scène et nous confie : « J’ai l’impression qu’on est en train de tourner du cinéma, là. » Autour de la star s’agitent les figurants qui s’apprêtent à être filmés. Franck, un impressionnant Albigeois quadragénaire au crâne rasé et à l’énorme moustache taillée à l’impériale, interprète un sabotier. C’est la première fois qu’il joue les figurants dans une aussi grosse production. Ils sont 70 comme lui, aujourd’hui, arrivés sur place entre 7 et 8 heures du matin pour enfiler leur costume et se faire maquiller, puis alterner toute la journée prises de vues et longs moments d’attente. Mais Franck ne se plaint pas : il est ravi d’avoir échangé un peu avec Daniel Auteuil et semble fier de son grand tablier en cuir. Les costumes, justement – éléments ô combien importants sur un tel film… La costumière Agnès Beziers, qui travaille dans l’industrie du cinéma depuis plus de dix ans, nous accueille dans sa caravane pour nous dévoiler à la fois l’ampleur et la minutie de son travail. Ayant conçu l’ensemble des costumes du film selon le souhait du réalisateur, c’est-à-dire en gardant toujours en tête qu’ils devaient s’inscrire dans la vision d’un petit orphelin nomade de la fin du XIXe siècle, la jeune femme n’a pas de mal à nous communiquer son enthousiasme : « C’est un projet d’une richesse rare pour une costumière. Etant donné que c’est un “road trip” d’époque, on a une multitude de décors, d’ambiances, de personnages très typés. Par exemple, selon
UNE VARIÉTÉ DE STYLES ASSUMÉE DANS LES COSTUMES : POPULAIRE, CITADIN, FOLKLORIQUE ET MÊME WESTERN
qu’on se situe à Paris en automne ou à Londres en hiver, les personnages ne portent pas les mêmes costumes, n’ont pas la même allure ni la même silhouette. Je me suis fait plaisir à varier les styles : populaire, western, coloré folklorique, citadin de l’époque de la construction de la tour Eiffel, etc. D’un seul coup, grâce au périple de Rémi et Vitalis, on voyage aussi grâce aux costumes. Ils doivent faire ressentir au spectateur le changement de décor. »
UN MESSAGE AU CINÉMA FRANÇAIS
Après une longue période de postproduction, au cours de laquelle Antoine Blossier et ses équipes ont peaufiné le montage, l’étalonnage et les effets spéciaux de leur bébé, Rémi sans famille sortira dans nos salles le 12 décembre avec peut-être à la clé, en cas de succès, un précédent pour encourager les décideurs du cinéma français à tenter de produire autre chose que de sempiternelles comédies franchouillardes. Visiblement, rien ne ferait plus plaisir à Daniel Auteuil : « J’espère vraiment qu’il y aura un peu plus de films épiques comme celui-ci dans le cinéma français à venir. Quand j’ai fait 36, Quai des orfèvres avec Olivier Marchal, le genre du polar appartenait totalement à la télévision, il n’y en avait plus au cinéma. Puis on a fait 2 millions d’entrées et le cinéma français s’est remis à faire des polars. » Quand Sans famille devient synonyme d’espoir… ■