CINÉMA et l’apostrophe de J.-Ch. Buisson
Un remarquable documentaire télévisé de la série « Apocalypse » raconte en détail et en couleurs les lendemains qui déchantent de l’Armistice.
CHERS DESCENDANTS DE POILUS, n’ayez pas honte ! Ne vous laissez pas impressionner par cette odieuse petite musique contemporaine complexée consistant à dévaloriser les mérites de « ceux et ceux » de vos familles qui, en 1918, ont gagné, les armes à la main, la guerre. Et qui n’en ont pas eu honte. Au contraire. Ce sont ces « vainqueurs », pour reprendre le titre du livre de l’historien militaire Michel Goya (Tallandier), qui sont en partie montrés (en couleurs) dans le nouveau documentaire de la remarquable série « Apocalypse » (France 2, dimanche 11 novembre, 21 h). On les voit célébrer la victoire, réapprendre à vivre (parfois avec des gueules définitivement cassées, comme celles des quatre hommes plantés à l’entrée du château de Versailles à l’arrivée des signataires allemands du traité de Versailles), à travailler, à aimer. Superbes et poignantes images de ces héros anonymes, ces millions de mutilés trébuchant parfois dans leur gloire et qui ne rêvent plus que d’oublier l’enfer qu’ils ont vécu. Mais sans regretter d’avoir fait ce qu’ils ont fait : leur devoir de citoyen patriote. Outre que les Allemands ne se sentent guère vaincus, leur territoire n’ayant été ni abîmé ni occupé, le hic, que souligne parfaitement le film de Daniel Costelle et Isabelle Clarke, ce furent les conséquences politiques de la paix. Cette « paix impossible », si justement dénoncée par Jacques Bainville dès 1920, source des conflits à venir. Ces traités insatisfaisants que dénoncent notamment un général turc (Mustafa Kemal) et un caporal allemand (Adolf Hitler). Mais aussi le Sénat américain, qui ne suit pas le président Wilson dans ses lubies et ses rêves de paix universelle. Et tous ces peuples d’Europe centrale, orientale et balkanique, mais aussi d’Asie et d’Afrique, bientôt décidés à exercer leur « droit à disposer d’eux-mêmes », quitte à bousculer les nouvelles frontières. Apocalypse, comme toujours, dévoile des scènes étonnantes : ces orphelins de tous pays se nourrissant de tristesse, de rage et de violence ; Foch se lançant dans une danse indienne ; le flamboyant D’Annunzio dans les rues de Fiume ; Coco Chanel dessinant le flacon de son parfum N° 5 sur le modèle d’une flasque de vodka – russe comme son amant ; le drapeau britannique flottant dans les rues d’Irlande hostiles et vides ; et à nouveau, ce petit caporal moustachu sortant subitement des rangs de manifestants allemands, un jour d’après-guerre. C’est-à-dire d’avant-guerre. Post-apostrophum : « La paix, ce n’est pas la fin, mais le début de la violence. » (Ernst Jünger)