LE THÉÂTRE de Philippe Tesson
Un excellent spectacle populaire, qui prouve que l’homme est beaucoup plus intéressant que la machine.
Il aura fallu des dizaines d’années, un ou deux livres, un film et aujourd’hui une pièce de théâtre pour que le nom de Turing vienne aux oreilles du public, et audelà de son nom la légende de ce mathématicien anglais, et au-delà de sa légende son oeuvre, essentiellement ce qu’on appelle la machine de Turing, une sorte d’ancêtre de l’ordinateur qui permit aux forces armées britanniques de décrypter les codes de transmission des Allemands en 1943-1944. Nous ne sommes pas qualifiés pour accréditer cette histoire, mais la pièce de Benoit Solès donne envie d’en connaître davantage sur sa personnalité. Elle trace de lui en effet un portrait passionnant, que l’auteur incarne lui-même avec beaucoup de talent. De quoi faire un très bon spectacle. Très bon et très populaire, en ce qu’il rassemble une addition de réponses simples et opportunes à la curiosité d’un large public : un sujet excitant, le rapport entre le cerveau humain et la machine, un fait divers d’intérêt général, un contexte historique merveilleux, un héros, un suspense et une morale. Que demander de plus ? On est ici dans le cas de figure d’un mariage réussi du théâtre et de la télévision. Les entrées dans le sujet sont nombreuses, c’est cela qui fait l’énergie d’un spectacle. Une entrée scientifique : elle est indispensable, mais elle n’est là que pour poser le problème, elle n’a donc qu’une fonction secondaire. Le théâtre en effet ne sert pas à expliquer. Une entrée historique, qui elle, en revanche, est passionnante, même si elle prend des libertés avec la vérité. Elle est la part romanesque du théâtre. On en vient ainsi peu à peu à l’essentiel, c’est-àdire à l’entrée psychologique. C’est ce qu’il y a de plus important dans l’équation posée par l’auteur et par sa pièce, et c’est ce qu’il y a de meilleur dans celle-ci : la figure de Turing. Qui était Turing ? Il était, si l’on a bien compris, un homme fragile, d’une sensibilité dévorante et d’une intelligence scientifique exceptionnelle. La raison de l’incroyable silence dont il fut victime, lui et son oeuvre, tient à son homosexualité, que l’Angleterre considérait comme un crime. Condamné en 1952, il fut jeté en prison et ne fut libéré qu’en acceptant de se soumettre à la castration chimique. Il se suicida peu après en croquant une pomme empoisonnée, comme Blanche-Neige qui toute sa vie avait été son icône. Un vrai sujet de théâtre, n’est-il pas vrai ? Avec même une dimension poétique et un grain de folie. Un vrai héros de théâtre.
La Machine de Turing, de Benoit Solès. Mise en scène de Tristan Petitgirard. Avec Amaury de Crayencour. Théâtre Michel (01.42.65.35.02).
Une dimension poétique et un grain de folie