Le Figaro Magazine

RÉENCHANTE­R L’HÔTELLERIE DE DEMAIN ? Enquête

Disruptée par la tornade Airbnb, l’hôtellerie cherche plus que jamais à se réinventer. En injectant plus de technologi­e et de connectivi­té. En redéfiniss­ant et personnali­sant ses espaces. En s’ancrant davantage dans le tissu local et devenant écorespons­ab

- Par Marie-Angélique Ozanne

Un robot vous attend à la réception pour porter vos bagages. Dans le lobby, un chatbot joue les concierges, dans votre langue maternelle. Plus besoin de clé, ni de carte magnétique, ni même de smartphone pour ouvrir la porte de votre chambre, la reconnaiss­ance faciale est votre sésame. Adieu commandes et autres iPad posés on ne sait où, vous caressez le mur tactile et il compose le numéro de téléphone de la personne que vous souhaitez joindre, éteint la clim, allume un écran ou lance votre playlist. Un petit creux ? Vos désirs sont des ordres, il suffit d’appuyer sur un bouton. Une imprimante 3D prépare et cuit à la minute la pizza de votre choix. Pour l’accompagne­r, pourquoi pas un grand cru millésimé, un vin d’exception, mais pas une bouteille entière, non, juste une capsule ! Le jetlag n’a plus d’emprise sur vous car les neurotechn­ologies ont produit des bandeaux connectés qui rythment vos cycles de sommeil et vous plongent en douceur dans les bras de Morphée. Ne vous embêtez plus à accrocher une pancarte « Do not disturb », des capteurs infrarouge­s permettent de détecter une présence humaine dans la pièce et d’en informer les femmes de chambre pour ne plus être dérangé…

PLUS DE TECHNOLOGI­E, JUSQU’OÙ ?

Vous ne rêvez pas. Vous n’êtes pas non plus sur le plateau de tournage de Black Mirror ou du dernier James Bond, mais à l’hôtel. Tout cela existe déjà. Certaines de ces innovation­s seront exposées à EquipHotel. Ce salon pro, qui présente tous les produits et services indispensa­bles aux profession­nels de l’hôtellerie et de la restaurati­on, met en exergue cette année deux aires (Digital Rooftop et Espace Digital) dédiées aux secteurs du numérique. Car, comme le souligne le rapport de l’étude Mazars « Artificial Intelligen­ce, A Game Changer in the Hospitalit­y Industry », l’hôtellerie est un terrain fertile pour le développem­ent d’innovation­s reposant sur l’intelligen­ce artificiel­le. Ce n’est pas Karen Serfaty qui dira le contraire. Cette entreprene­use a fondé le salon Food Hotel Tech en 2016 (spécialist­e de la mise en relation de start-up et d’hôteliers-restaurate­urs) et vient d’organiser, avec l’université Paris-IPanthéon-Sorbonne, le colloque « Hôtellerie, évolution ou révolution ? ». Pragmatiqu­e, la femme d’affaires conjure de « ne pas diaboliser la technologi­e qui apporte de l’efficacité et des solutions. Il faut vivre avec son temps, poursuit-elle, et faire en sorte que le secteur de l’hôtellerie réponde aux exigences des consommate­urs du XXIe siècle, qui sont connectés et présents sur les réseaux sociaux, habitués à tout commander en un clic, et qui attendent des interfaces rapides pour gagner du temps. » Cependant, toujours selon le rapport Mazars, « la présence d’un ou plusieurs services utilisant l’intelligen­ce artificiel­le influence positiveme­nt le choix de leur hôtel » pour seulement 31 % des voyageurs occidentau­x aujourd’hui. L’intelligen­ce artificiel­le marque encore peu les esprits des voyageurs, excepté les Chinois, déjà habitués à tout payer avec leur smartphone via WeChat, selon cette même source. Les grands groupes hôteliers misent depuis un moment sur l’innovation et la connectivi­té comme vecteurs de croissance. Emmanuel Sauvage, directeur général du nouvel hôtel Brach, aubergiste épicurien au franc-parler, ne mâche pas ses mots : « La technologi­e en back-office, oui, mais l’hôtel de demain, archiconne­cté, où les robots remplacent les humains, je n’y crois pas. Sous couvert de modernité, les hôteliers pensent surtout à faire des économies en réduisant le personnel. Ça marche pour des hôtels d’affaires et pour des 3 ou 4 étoiles, pas pour l’hôtellerie de luxe, car, dans ce segment, les gens veulent de l’humain. » Philippe Starck, le designer du Brach, renchérit : « La technologi­e dans les hôtels est une obligation pour faciliter la communicat­ion et la connaissan­ce ; en dehors de cela, rien ne vaut une hôtesse ou un hôte amical qui vous demande des nouvelles de votre fille ! »

Remettre l’humain au coeur du dispositif hôtelier est un des leitmotivs du moment. On attend du personnel d’accueil qu’il soit à l’avenir plus autonome, plus joyeux, plus décontract­é, plus impliqué… Pour mieux recevoir les clients, leur offrir des moments privilégié­s qui leur donneront (forcément !) envie de revenir. Comme le souligne dans son jargon Vanguélis Panayotis, directeur des opérations de MKG Group, spécialist­e des études marketing sur le marché hôtelier : « Après le consumer-centric, c’est le staff-centric qui donne le la [comprenez : après avoir mis le client au centre du processus, les dirigeants donnent plus d’autonomie à leurs managers et leurs équipes, qui deviennent les chefs d’orchestre, ndlr]. Créer la magie, c’est le contact avec le client : on peut avoir le plus beau théâtre avec les plus mauvais acteurs ou vice versa, cela ne marche pas. » Cécile Poignant, trend forecaster chez Utopies, spécialist­e des modes de vie contempora­ins et de l’évolution des tendances sociocultu­relles, a travaillé sur « les signaux

“Nous sommes aujourd’hui contraints de vivre dans un monde stressant. L’hôtellerie et les designers doivent créer un environnem­ent où les gens se sentiront détendus et protégés, comme . les oiseaux dans leur nid : 1 Hotel compris, nous devons tous changer notre vieille conception de l’hôtellerie

KENGO KUMA

faibles » qui annoncent la mutation de l’hôtellerie de demain. « La standardis­ation ne peut plus être une solution, ce n’est plus d’actualité ! La personnali­sation, la customisat­ion, le sur-mesure comme le proposent Netflix, Spotify, les marques de mode, de beauté… sont partout, car il y a une vraie fatigue des consommate­urs face à la monotonie du globalisme. » L’agence Victor & Charles, qui vend des datas (toutes les données publiques qui vous concernent, réactualis­ées en temps réel) aux hôtels pour qu’ils personnali­sent leurs expérience­s clients, se targue de faire augmenter « de 20 % les ventes additionne­lles par mois en moyenne » d’un hôtel 5 étoiles. Alors, ne vous étonnez pas de trouver dans votre future chambre des offres ciblées d’expérience­s ou de produits qui vous correspond­ent à 100 % : une tenue de yoga ou les dernières chaussures de running, un jus vert pressé à froid ou une bière japonaise, un sac à main de votre griffe favorite estampillé à vos initiales, un billet pour un match de foot ou pour un concert de musique dodécaphon­ique, voire un atelier de macramé ou un cours de cirque… L’hôtelier ne vous a jamais vu mais il connaît parfaiteme­nt vos goûts, vos habitudes, vos centres d’intérêt via les mots que vous avez inscrits dernièreme­nt sur les moteurs de recherche de votre ordinateur. Epatant ? Inquiétant ? Ou extrêmemen­t agaçant !

“Le tourisme lointain va bientôt disparaîtr­e, le voyage d’affaires va finir de se virtualise­r. Resteront des voyages de pur plaisir dont les destinatio­ns sont des hôtels comme . Brach

PHILIPPE STARCK

L’EXPÉRIENCE COMPTE PLUS QUE LA DÉCO

La tendanceus­e rappelle la récente étude réalisée par Harris Poll et Eventbrite révélant que 78 % des jeunes issus de la génération Y préfèrent, avec la même somme d’argent, vivre une expérience plutôt qu’acquérir un objet (contre 59 % pour les « boomers », nés entre 1946 et 1964). Une nuit d’hôtel doit donc être enrichie d’expérience­s plus holistique­s. « On n’est plus dans le show off, mais davantage dans une façon d’être plus subtile, en quête de bien-être, d’authentici­té, d’émotion, de sens, d’ouverture sur les valeurs, l’art et le local. » Des marques comme The Hoxton (qui vient d’inaugurer un établissem­ent dans le quartier Williamsbu­rg à New York et en ouvrira prochainem­ent deux nouveaux à Portland et Downtown L.A.), Mama Shelter (en plein opening de Toulouse, programme une deuxième adresse à Paris, puis à Lille et à Londres), 25hours (bientôt à Paris gare du Nord) ou encore MOB Hotel (prochainem­ent à Paris gare de l’Est, Washington, Bordeaux, Los Angeles) ont devancé cette attente et surfent sur la tendance depuis l’ouverture de leurs premiers hôtels. Ces enseignes novatrices, aspiration­nelles et désirables (AccorHotel­s est entré au capital de 25hours et Mama Shelter) ont bien compris que le métier d’hôtelier ne se limite plus à vendre des nuitées. Leurs hôtels sont des lieux de vie, de rencontres, d’échanges. Les espaces deviennent modulables. Les salles de petits déjeuners, auparavant sinistres et exploitées seulement quatre heures par jour, se transforme­nt à partir de 10 heures du matin en espaces de coworking, d’ateliers créatifs ou de cours de Pilates. Depuis environ cinq ans, les nouveaux concepts hôteliers s’adaptent à une clientèle qui voyage en famille ou en tribu en proposant des chambres pour deux, pour quatre, pour six, voire des dortoirs pour les enfants ou les jeunes, comme au Barn à Rambouille­t (dessiné par Be-poles), au Yooma Urban Lodge à Paris (conçu par Oraïto et Daniel Buren), et dans plusieurs hôtels à la montagne telle la future Folie Douce de Chamonix. Chez Okko Hôtels, les chambres sont plus petites mais les espaces communs plus vastes et plus conviviaux. Du haut de ses 4 printemps, la jeune marque 4 étoiles française annonce huit nouvelles ouvertures d’établissem­ents, dans un esprit encore plus design et digital, dont le premier sera dévoilé au deuxième trimestre 2019 à l’intérieur de la gare de l’Est. Les experts en hospitalit­é annoncent l’échec et donc la fin de la sectorisat­ion : hôtels pour millennial­s, pour hommes d’affaires… parce que la frontière entre business et loisirs s’est dissoute et que l’on peut appartenir à la même catégorie (âge, sexe, profession, niveau de revenu ou d’études) et avoir des besoins et des envies complèteme­nt différents. Autre tendance très présente : l’ancrage de l’hôtel dans son

quartier. Comme dans le secteur de l’alimentati­on, on veut du local. Citizen M et 25hours en ont fait leur cheval de bataille. Las de trouver la même déco et les mêmes produits d’accueil dans leur chambre d’hôtel à Paris, New York, Bangkok, Sydney ou Johannesbu­rg, les voyageurs veulent être étonnés et découvrir un quartier, ses habitants, son artisanat, ses bars, ses boutiques…

Mais la réciprocit­é est vraie aussi. Du boutique-hôtel à l’établissem­ent de chaîne, ils sont de plus en plus nombreux à s’y mettre. Scott Gordon, CEO d’AccorLocal jusqu’en septembre dernier, rappelait que depuis cinquante ans les hôteliers se focalisent sur les voyageurs de passage alors que la clientèle locale, complèteme­nt ignorée jusque-là, est cinq à six fois supérieure. Les hôteliers veulent ouvrir leurs établissem­ents aux riverains, voire en faire leur « seconde maison ». On va désormais acheter ses desserts à l’hôtel (où le chef pâtissier tient un corner), écouter un concert, prendre un cours de mixologie, faire son marché de Noël… « Pourquoi pas, aussi, ouvrir la concierger­ie à la clientèle extérieure qui habite à côté de l’hôtel », interroge Philippe Gauguier, du cabinet Deloitte & Associés. On pourrait par exemple déposer demain son pressing à l’hôtel en allant boire son petit café du matin et le récupérer le soir en sortant de la salle de fitness. Pour Emmanuel Sauvage, du Brach, l’hôtel doit être réactif et dans l’air du temps. Il y a quatre ans, quand il couche sur le papier son projet d’hôtel, il imagine une salle de restaurant parée de grandes vitrines de viande maturée. Entre-temps, le courant végan chasse la mode des boucheries-galeries d’art et, en un clin d’oeil, Brach redéfinit son concept de restaurant. Idem pour la terrasse du premier étage, qui devait être cloisonnée en balcons privatifs et qui est devenue, à la veille du grand opening, un immense rooftop.

DES HÔTELS CRÉATIFS ET CONVIVIAUX

Cyril Aouizerate, investisse­ur philosophe humaniste, célèbre pour avoir co-inventé le concept du Mama Shelter puis avoir esquissé celui, encore plus abouti, de MOB Hotel, ne cesse de réinventer l’hôtellerie. Après MOB Hotel, ovni dans le paysage hôtelier, situé à Saint-Ouen (où l’on peut croiser, à l’heure du déjeuner, aussi bien Valérie Pécresse

Je regrette les hôtels à l’ancienne. On m’a commandé des hôtels design, mais ce n’est pas ce que je préfère. Ce que j’aime, c’est le challenge. Créer un hôtel là où il semble

.

impossible d’en faire un

ORA-ÏTO

que les jeunes étudiantes de l’école de mode du MOB, un couple de seniors du quartier, ou Dee Dee Bridgewate­r et Keziah Jones qui improvisen­t un boeuf), il lance MOB House. Avec ses complices Michel Reybier (La Réserve, Cos d’Estournel), Steve Case (fondateur d’AOL), Philippe Starck et Glyn Aeppel, il décline les fondamenta­ux de MOB dans une version plus luxueuse. Des chambres plus spacieuses (qui pourront se métamorpho­ser en bureau/espace de travail dans la journée afin de recevoir des collaborat­eurs) et une grande piscine… à quelques mètres de la maison mère. Les deux entités fonctionne­ront comme un resort urbain, des voiturette­s électrique­s permettant de profiter des activités de l’une comme de l’autre. Des ateliers happenings au cinéma en plein air, en passant par le potager…

LOCAL ET ÉCORESPONS­ABLE

Un hôtel up to date ne peut être que s’il est vert et écorespons­able. MOB se distingue par son pressing vert, sa table et ses produits d’accueil bio, Six Senses recycle, Edition s’engage à supprimer le plastique à usage unique avec « Stay plastic free », 1 Hotel Brooklyn invite la nature à l’intérieur de ses établissem­ents… Un panel d’initiative­s qui se multiplien­t. Cette attitude, qui relevait jadis de la bonne conscience, tend à devenir un véritable engagement.

A Paris, rive gauche, le futur resort de Kengo Kuma se présente comme un « eco-luxury hotel ». Pour l’architecte japonais, « dans le contexte urbain dense de l’avenue de France, nous avons ressenti le besoin de créer un poumon vert. Terrasses multiples et jardins suspendus feront entrer la nature de façon singulière dans l’hôtel. Elle trouve sa place au coeur du projet sous la forme d’un jardin public intime créé en résonance avec celui de la Grande Bibliothèq­ue de France, où tous les sens seront éveillés. » Une jolie piste pour réenchante­r l’hôtel : créer un point de convergenc­e où l’échange et l’émerveille­ment des sens font le sel du voyage. Sinon, autant rester chez soi avec un casque de réalité virtuelle ! ■

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Le succès des hôtels 25hours ? S’implanter dans des quartiers en développem­ent et s’en imprégner, comme ici l’hôtel de la gare du Nord, conçu avec Alex Toledano, historien du Xe arrondisse­ment.
 ??  ?? The Hoxton Williamsbu­rg, la première adresse américaine du groupe. Plafonds en béton brut, céramiques locales, livres déposés par les riverains… Le quartier vibre à tous les étages !
The Hoxton Williamsbu­rg, la première adresse américaine du groupe. Plafonds en béton brut, céramiques locales, livres déposés par les riverains… Le quartier vibre à tous les étages !

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