LE BLOC-NOTES de Philippe Bouvard
Mes chers compatriotes, Vous n’ignorez pas, puisque les médias s’en sont fait assez méchamment l’écho, que la fatigue m’a enfin rattrapé. Jusque-là, j’avais tout supporté : l’insolente fortune des Rothschild comme l’infortune bredouillante de Hollande. La popularité de Brigitte qui veille sur moi comme une mère ne me dérangeait pas. Celle d’Edouard qui ne fait rien d’autre que garder la boutique quand je vais voir nos clients à l’étranger me navre. C’est en voulant être partout à la fois que je me suis retrouvé sur les rotules. La visite de 35 pays m’a imposé de passer en revue des militaires toujours plus grands que moi avant d’aller pignocher des chauds-froids de volaille plus ou moins épicés. Après quoi, je devais remplacer la sieste postprandiale par des réunions dont, au bout de quelques heures, il n’est jamais sorti que votre serviteur. Ce sont d’ailleurs les rencontres avec d’improbables homologues qui ont eu raison de ma résistance. Principalement Donald Trump que j’ai été contraint d’inviter dans le restaurant le plus cher de France alors qu’il venait de déchirer le traité de Paris. L’obligation de recevoir à Versailles Poutine, le copain de l’ORL aux 400 000 victimes, a achevé de me saper le moral. Je passe sur ces journées ordinaires où je dois faire risette aux syndicalistes, aux retraités et à des conseillers qu’on m’interdit désormais de galonner à ma guise. J’oublie le téléphone interministériel qui, chaque quart d’heure, véhicule une mauvaise nouvelle ; les cris des mécontents dans la rue et le choc des flûtes à champagne dans le salon contigu à mon bureau quand il faut rincer ceux qui menacent de jeter l’éponge. Ah ! vous avez beaucoup de chance d’être inconnu, pauvre et au bas de l’échelle sociale…
Je dors mal depuis que, rompant avec la vigilance de Roustam, le mamelouk de l’Empereur, Benalla a cessé de monter la garde devant la porte de ma chambre. J’appréhende les cérémonies du 11 Novembre. Fallait-il inviter Angela Merkel, femme battue aux élections voilà deux semaines, pour lui rappeler qu’on avait écrasé son pays un siècle plus tôt ? Du coup, menant de front le référendum d’Outre-mer et la visite de 11 départements métropolitains, j’ai remplacé le gigot de 7 heures par un speech de 5 minutes. Ajoutez à cela que la vie quotidienne à l’Elysée illustre cette pénibilité que j’ai fait inscrire dans la loi travail. Surtout lorsque, au petit matin, on
“Il faut rincer ceux qui menacent de jeter l’éponge”
m’apporte des journaux dont pas un seul ne loue mon génie, ma connaissance des affaires publiques et une sagesse ayant depuis longtemps disparu des palais nationaux. Les éditorialistes que je refuse de recevoir en tête à tête ou d’appeler par leur nom durant mes conférences de presse, font chorus : je suis arrivé au pouvoir par la grâce de Penelope ; je m’y maintiens difficilement ; la Bourse baisse tandis que le chômage monte. Bref, j’ai perdu la main que j’aimerais tant leur aplatir sur le visage. Pendant ce temps-là, on bafoue les secrets d’Etat en faisant interroger publiquement mes plus proches collaborateurs par des commissions parlementaires. Collomb et Hulot m’ont quitté sans aucune discrétion. Le nouveau ministre de l’Intérieur souhaite installer des policiers dans chaque classe alors qu’il eût été plus efficace de doter d’un éducateur chaque commissariat. Brigitte regrette qu’étant mariée avec moi depuis onze ans, elle n’ait pas été autorisée à faire la révérence devant la reine d’Angleterre, alors que Carla Bruni avait eu droit à cet honneur un mois après avoir épousé Sarkozy. Et ce ne sont pas les corvées d’enterrement auxquelles je me suis astreint qui m’ont requinqué. Certes, j’ai réussi un bel exercice de style en célébrant successivement les mérites de Simone Veil, de Jean d’Ormesson, de Johnny et d’Aznavour. Mais l’éloge funèbre est épuisant qui consiste à présenter de nouveaux pensionnaires au bon Dieu alors qu’on est le grand prêtre de la laïcité. Sans compter l’habitude d’étreindre les familles après avoir embrassé les enfants qu’on ne connaît pas, les fraîchement décorés et toutes les victimes sauf celles du fisc. Même le Conseil des ministres est une épreuve. Ceux auxquels je donne la parole n’en finissent pas de se gargariser avec les idées que je leur ai soufflées. Après quoi, je dois filer dans mon bureau pour recevoir le nouvel ambassadeur d’un pays qui nous critique et nous jalouse. Encore heureux que Brigitte se charge du courrier et envoie des petits secours à tous les malheureux dont, inlassablement, je rogne le pouvoir d’achat à l’aide d’un effet de chaîne. Ainsi achète-t-on moins de cigarettes depuis que j’ai augmenté le gazole. Le plus harassant est d’enfiler les contre-vérités. Vous n’imaginez pas combien j’ai souffert pour affirmer qu’on pouvait continuer à vendre des armes à l’Arabie saoudite après l’assassinat d’un journaliste – un de moins ! – dont il n’est pas prouvé qu’on ait mis fin à ses jours avec un matériel de notre fabrication. Je ne connaîtrai pas de répit avant 2022. Si Brigitte me succède, je la seconderai bénévolement et sans statut officiel.
Je m’abstiens de vous embrasser, faute de salive et par peur d’une mauvaise grippe qui ferait le bonheur de Mélenchon. Pour copie presque conforme.