PATTI SMITH : C’ÉTAIT MIEUX AVANT
Patti Smith publie « Dévotion ». Ce recueil de textes creux a transformé notre chroniqueur en réac du rock.
Quand je pense à Patti Smith, je me revois sautant à pieds joints sur le sofa d’une boum vers la fin des années 1970, chez un camarade de lycée. La chanson s’intitulait Because the Night. Musique de Bruce Springsteen, paroles de Patti Smith. Cette fille citait Rimbaud, buvait et criait sur la scène du CBGB, vivait au Chelsea Hotel avec le photographe gay Robert Mapplethorpe.
Son premier album commençait par une démente version de Gloria de Them. Les années ont passé et Patti Smith est devenue un symbole du féminisme et de la contre-culture. Pour un artiste, c’est un grand malheur d’être mythique.
La rebelle androgyne se comporte désormais en dame respectable. Elle a écrit ses Mémoires, Just Kids, livre émouvant, couronné par le National Book Award en 2010, puis un autre récit de souvenirs de voyages : M Train (2015). Elle est allée recevoir le prix Nobel de Bob Dylan à sa place. Comme lui, elle tourne autour du monde pour recevoir chaque jour une médaille, un hommage, un discours, un compliment. Son nouveau livre s’intitule Dévotion ; c’est le titre d’une nouvelle qui parle de patin à glace. En réalité, sans le savoir, Patti Smith y décrit sa propre malédiction de déesse vivante. C’est ennuyeux d’être objet d’une telle dévotion. Comment vivre naturellement quand on est une légende qui doit peser chaque mot, chaque geste, en étant convaincu de vivre sans cesse des moments historiques ? Quand elle pogotait à New York, Patti Smith ne portait pas le poids pénible de sa mythologie sur le dos comme une croix. Elle était libre avant de se sentir obligée de nous expliquer qu’elle était libérée. Dévotion commence par des banalités sur l’inspiration, sans en avoir. Ensuite, Patti Smith publie des photographies de ses propres manuscrits comme si c’étaient des incunables exposés au British Museum. Et puis elle écrit : « Je me lève pour aller uriner. » Ensuite elle lit Modiano, va au Café de Flore, photographie sa cuillère page 36, regarde la télé, n’a rien à dire mais l’écrit quand même. Puis elle rend visite à Antoine Gallimard. Elle prend une photo du jardin des Editions Gallimard. « J’ai connu Genet, dit M. Gallimard. » Cher Antoine, je pense que vous serez d’accord avec moi pour dire que ce n’est pas la chose la plus intéressante que votre maison ait publiée cette année. Je suis conservateur non par choix idéologique mais parce que je déteste le temps qui passe. Patti Smith était mieux avant, j’étais mieux avant, tout était mieux avant, quand nous étions jeunes et irresponsables.
Dévotion, de Patti Smith, Gallimard, 137 p., 14,50 €.
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard.