L’ÉDITORIAL de Guillaume Roquette
Macron l’affirme et Merkel le confirme : la situation du monde d’aujourd’hui rappellerait celle de l’entre-deux-guerres. Le secrétaire général de l’ONU craint même « un engrenage invisible » qui pourrait nous mener vers la guerre. Rien que ça. Le discours sur le retour des heures les plus sombres de notre histoire n’est plus l’apanage des éditorialistes de gauche en manque d’inspiration, il est désormais relayé au plus haut niveau de nos Etats. Est-il plus crédible pour autant ? Non. N’en déplaise aux amateurs de scénarios catastrophe, « l’Histoire est la science des choses qui ne se répètent pas » (Paul Valéry) et le ministre de l’Intérieur italien Salvini n’est pas plus Mussolini que le Premier ministre hongrois Orbán n’est Hitler ou le président Trump un nouvel Hirohito. On peut reprocher à tous ces dirigeants occidentaux d’être égoïstes, insuffisamment libéraux et même xénophobes, mais cela ne fait pas pour autant d’eux des menaces pour la paix du monde. Tout simplement parce que leur ambition n’est pas de le dominer, mais seulement d’être (ou de redevenir) maîtres chez eux. Si l’on cherche les impérialismes d’aujourd’hui, qu’on regarde plutôt vers la Chine ou la Turquie.
Lors des cérémonies du 11 Novembre, le président de la République a opposé le patriotisme au nationalisme, forcément agressif et haineux. La distinction est juste quand elle s’applique aux années 1930 mais se révèle beaucoup moins pertinente de nos jours. Orbán ou Trump sont sans doute des nationalistes dans le sens où ils font passer les intérêts de leur nation au-dessus de tout le reste, mais ils n’ambitionnent pas pour autant, comme Napoléon ou Hitler, de repousser le plus loin possible leurs frontières. En d’autres termes, leur nationalisme est défensif, pas impérialiste. Les populistes d’aujourd’hui ne se font pas élire en promettant d’envahir leurs voisins, mais en refusant de se laisser envahir (du moins est-ce ainsi qu’ils le disent) par l’immigration. Et puis, autre différence, et non des moindres, avec l’entre-deux-guerres, les régimes « illibéraux » d’aujourd’hui (à l’exception de la Russie) n’en sont pas moins tout à fait démocratiques. Aux dernières nouvelles, et bien qu’ayant perdu la majorité à la Chambre des représentants, Trump n’a toujours pas envoyé les marines occuper le Capitole.
Bien sûr, cela ne fait pas pour autant du président américain un allié exemplaire. Quand il signe des traités commerciaux sans nous demander notre avis ou dénonce l’accord sur le nucléaire iranien, il contrarie nos intérêts (au même titre que son prédécesseur Obama en 2013, quand il refusa au dernier moment de frapper la Syrie). Mais cela ne suffit pas pour le considérer comme un ennemi. N’oublions pas que, malgré tous ses défauts, Donald Trump continue à financer la défense de tout l’Occident via l’Otan. Emmanuel Macron rêve d’une défense européenne mais rien n’indique que nos voisins seraient prêts à la financer en lieu et place de l’Oncle Sam. Un siècle après, nous avons encore besoin d’alliés.