Le Figaro Magazine

LECTURE/POLÉMIQUE Marcel Gauchet

Dans un essai ambitieux, Marcel Gauchet ressuscite la figure de l’Incorrupti­ble pour mieux pointer les contradict­ions de nos démocratie­s libérales.

- Alexandre Devecchio

Evénement fondateur, la Révolution française resurgit régulièrem­ent dans l’actualité et le débat national. Souvent, il s’agit autant d’interroger le passé que le présent. En 1989, les célébratio­ns du bicentenai­re, qui coïncident avec la chute du mur de Berlin et le triomphe de l’idéologie de « la mondialisa­tion heureuse », épousent l’air du temps. Sur les Champs-Elysées, le défilé orchestré par Jean-Paul Goude ressemble à une pub Benetton. François Furet, ancien communiste converti au libéralism­e, chargé de la supervisio­n historique de la commémorat­ion, fustige « la vulgate lénino-jacobine » des historiens supposémen­t marxistes en ne voulant retenir de la Révolution que « les droits de l’homme ». Trois décennies plus tard, sur fond de montée en puissance des partis « populistes », c’est la dimension populaire, patriotiqu­e et sociale de la Révolution qui revient sur le devant de la scène. C’est le film de Pierre Schoeller, Un peuple et son roi qui, comme son titre l’indique, entend raconter la Révolution du point de vue du peuple. C’est aussi le nouvel essai de Marcel Gauchet, Robespierr­e. L’homme qui nous divise le plus, qui ressuscite la figure controvers­ée de l’Incorrupti­ble. S’il ne cache rien de la face sombre de Robespierr­e, le philosophe refuse de faire de lui un Lénine avant la lettre. Pour le penseur antitotali­taire, Robespierr­e n’est pas le père du totalitari­sme. Au contraire, il incarne les deux visages de la Révolution et les contradict­ions à venir de la démocratie libérale. Robespierr­e est l’homme des libertés individuel­les et celui de la souveraine­té nationale. Le héraut des droits de l’homme et l’apôtre de la Terreur. A la fois libéral et jacobin. Ni tyran ni martyr, Gauchet le présente comme un personnage cornélien écartelé entre ses principes et la réalité tragique de l’Histoire. Comme le rappelle Gauchet, Robespierr­e s’est opposé, dans un premier temps, aussi bien à la guerre qu’au renverseme­nt de la monarchie. Une fois la monarchie renversée et la guerre déclarée, il en a assumé toutes les conséquenc­es jusqu’à renier tous les principes qui étaient au fondement de la Révolution. Pour sauver « la patrie en danger » et ce qu’il considère comme les acquis de la Révolution, il fera couler le sang, y compris celui des Français. L’arbitraire pour sauver les droits, l’oppression pour sauver la liberté. Tel est, pour Gauchet, le paradoxe de Robespierr­e et le péché originel de la République. Comment articuler droits particulie­rs et intérêt général, principes abstraits et principe de réalité, démocratie et libéralism­e ? La noblesse des fins justifie-t-elle la monstruosi­té des moyens ? Autant de questions sur lesquelles butte Robespierr­e. A travers la figure de l’Incorrupti­ble, Gauchet poursuit sa réflexion contempora­ine sur « la Révolution des droits de l’homme ». A l’heure où l’extension à l’infini des droits individuel­s menace les cohésions nationales et s’oppose à la volonté collective des peuples, ces questions, suggère Gauchet, ne sont peut-être pas derrière, mais devant nous.

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 ??  ?? Robespierr­e. L’homme qui nous divise le plus, de Marcel Gauchet, Gallimard, 276 p., 21 €.
Robespierr­e. L’homme qui nous divise le plus, de Marcel Gauchet, Gallimard, 276 p., 21 €.

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