Le Figaro Magazine

CINÉMA et l’apostrophe de J.-Ch. Buisson

Produits par Netflix, les deux réalisateu­rs dynamitent dans leur nouveau film la mythologie du western. A savourer… sur petit écran.

- L’APOSTROPHE DE JEAN-CHRISTOPHE BUISSON

CHERS JOEL ET ETHAN COEN, ainsi donc les maîtres du scénario et de la mise en scène pour grand écran que vous êtes réservez aux téléspecta­teurs abonnés à Netflix le privilège de voir (à partir du 16 novembre) votre nouveau film. Comme, demain, Alfonso Cuarón, Paul Greengrass, Martin Scorsese (The Irishman, avec Al Pacino et Robert De Niro), Steven Soderbergh et Guillermo del Toro (Pinocchio). Et même Orson Welles (paix à son âme), puisque c’est la plate-forme américaine de vidéo à la demande par abonnement qui a financé l’achèvement de son ultime oeuvre, De l’autre côté du vent, portrait en creux d’Ernest Hemingway. Votre Ballade de Buster Scruggs est, il est vrai, plutôt adaptée au format télévisuel : aucune des six histoires que vous contez n’ayant de rapport avec celle qui la précède ou la suit, on peut, sans déranger son voisin, se lever toutes les vingt minutes et mettre sur pause le temps de soulager quelque besoin nutritif ou autre. Seul point commun, le décor : l’Ouest américain de la fin du XIXe siècle. Se succèdent devant vos caméras des personnage­s qui finissent tous par révéler, dans leurs paroles ou leurs actes, une folie ou un dérèglemen­t savoureux. Qu’il s’agisse d’un hors-la-loi sanguinair­e tout de blanc vêtu et chanteur à ses heures qui se croit invincible au prétexte qu’il est le meilleur tireur de la région ; d’un braqueur de banque au regard si doux (James Franco) qui passe son temps à se faire pendre ; d’un chercheur d’or (exceptionn­el Tom Waits) qui s’acharne à creuser les rives d’une rivière qui recèle, il en est sûr, de quoi faire de lui un homme riche ; d’un organisate­ur de spectacles itinérants qui installe chaque soir sur sa petite scène, devant un public de plus en plus maigre, un jeune homme sans bras ni jambe déclamant avec force des phrases tirées de L’Ecclesiast­e, du discours de Lincoln après la bataille de Gettysburg ou des pièces de Shakespear­e (ce qui fait moins recette que des poules picorant des numéros de loterie, il le constatera à ses dépens). Reprenant les codes du western pour mieux s’en moquer, les détourner ou les exploser (on verra aussi des Indiens qui ne pensent qu’à scalper leurs ennemis, de longs convois de diligences, des saloons mal famés, une nature grandiose et sauvage, etc.), les Coen se montrent ici à leur meilleur. Sans crainte, parfois, du bavardage quasi Woody-Allenien, ils construise­nt chacun de leurs récits avec les matériaux qu’ils maîtrisent le mieux : cruauté, cynisme, noirceur, absurdité, fatalisme. Ce qui n’empêche pas l’émotion. Ni la drôlerie. Tant il est vrai qu’avec eux, plus c’est tragique, plus c’est drôle… Post-apostrophu­m : a-t-on quand même le droit de regretter de ne pas voir ces plans splendides sur un écran de 24 x 10 m ? Même 12 x 5…

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