LA PAGE HISTOIRE de Jean Sévillia
L’adhésion de Port-Royal au jansénisme a provoqué une des grandes crises politiques et religieuses du règne de Louis XIV.
APort-Royal s’attachent, pour nombre de Français, des réminiscences scolaires un peu floues, le plus souvent à travers des bribes de littérature classique, de Pascal à Racine. Ajoutons que, pour ceux qui s’aventurent sur les lieux, dans la vallée de Chevreuse, à une dizaine de kilomètres de Versailles, le vallon aujourd’hui désert où s’élevait jadis l’abbaye Port-Royal des Champs, en dépit du musée qui y est installé, n’est pas particulièrement parlant, ce qui n’incite guère à se familiariser avec l’histoire compliquée du jansénisme.
On rendra grâce alors à Michel Carmona, professeur émérite à la Sorbonne et spécialiste du XVIIe siècle, pour la belle synthèse qu’il offre sur un sujet où le spirituel et le temporel s’entremêlent inextricablement, mais dans un contexte radicalement différent du nôtre, et pour des raisons qui nous sont devenues étrangères. Il faut par conséquent tout l’art de l’historien pour intéresser le lecteur sans céder à l’anachronisme qui consisterait, écrit Carmona, à « attirer le jansénisme et ses adeptes dans les filets de nos mentalités actuelles ».
Chapitre après chapitre, l’auteur retrace les étapes successives de cette aventure théologique qui se transformera en crise politique : la réforme de Port-Royal, abbaye cistercienne de femmes, par Jacqueline Arnauld, jeune abbesse sous le nom de mère Angélique, puis la séparation entre Port-Royal des Champs et Port-Royal de Paris, cette dernière maison étant gagnée au jansénisme par l’abbé de Saint-Cyran. Le jansénisme, théorie de la prédestination du salut, sera condamné en 1653 par le pape. En France, il aura rapidement revêtu une connotation politique, rassemblant les opposants à Richelieu puis à Louis XIV. Ayant quitté Paris, la communauté de mère Angélique, qui avait attiré autour d’elle, à PortRoyal, des « Messieurs » qui menaient une austère vie de retraite, sera sanctionnée puis dissoute par le pape, pour avoir refusé de renier le jansénisme, sous l’influence des jésuites et avec la bénédiction de Louis XIV qui fera raser le couvent, en 1710, et même détruire le cimetière des religieuses rebelles. L’esprit janséniste, explique Michel Carmona au terme de ce savant ouvrage, survivra malgré tout : sa postérité intellectuelle passera par les penseurs des Lumières.
Port-Royal, de Michel Carmona, Fayard, 494 p., 26 €.