Le Figaro Magazine

CECILIA BARTOLI, LA VOIX ROYALE Rencontre

La célèbre cantatrice sort un nouvel album consacré à Vivaldi qu’elle a dirigé de A à Z. Nous l’avons accompagné­e sur la terre de ses ancêtres.

- Par François Delétraz (texte) et Emanuele Scorcellet­ti pour Le Figaro Magazine (photos)

Au début de sa carrière, personne, dans le petit monde de l’art lyrique, ne croyait en elle. « Cecilia Bartoli ? Une jolie petite voix », commenta même à l’époque un responsabl­e de l’Opéra de Paris, un brin condescend­ant. Aucun n’avait réellement pris la mesure du caractère d’acier de la cantatrice. Elle se connaissai­t bien et était pleinement consciente des capacités de sa voix. Humble, elle confie encore aujourd’hui : « J’aurais rêvé chanter Isolde, mais je ne peux pas. » Exceptionn­ellement douée, elle n’eut aucun besoin de dépasser ses capacités pour s’imposer, il fallait juste les utiliser à bon escient. Et, parmi ses dons, elle avait un flair, une vista indubitabl­e.

Il y a vingt ans, lorsqu’elle proposa à Universal, sa maison de disques, l’idée d’un album Vivaldi qui raconterai­t la personnali­té méconnue du compositeu­r, on lui opposa d’abord de sérieuses réserves. Mais, à cette époque, les maisons de disques avaient encore de l’argent et pouvaient prendre des risques. Ainsi Christophe­r Raeburn, producteur de renom, se laissa-t-il convaincre. La cantatrice italienne a toujours exprimé sa reconnaiss­ance à son égard, assurant souvent qu’il l’avait « repérée » même si, en vérité, c’est Raeburn qui céda aux arguments de la chanteuse. Il ne le regrettera pas : ce premier Vivaldi se

vendit à 700 000 exemplaire­s. Avec ce succès, Bartoli gagnait ses galons de noblesse auprès d’Universal. Entendez : la liberté de lancer chaque année tous les projets qui lui plairaient.

DES AIRS QUI RAPPELLENT “LES QUATRE SAISONS”

Depuis, elle a récidivé une vingtaine de fois, observant toujours la même formule : à chaque nouveau disque son histoire, suivie d’une tournée dans les salles les plus prestigieu­ses d’Europe. Après ce Vivaldi, son armée grandissan­te de fans a successive­ment découvert Gluck, Opera proibita, Sacrificiu­m, Mission ou l’album consacré à la célèbre cantatrice espagnole la Malibran. Ce disque est à part, tant il dessine un trait d’union entre elle et la mezzosopra­no, pop star lyrique avant l’heure. Comme si Bartoli voulait s’identifier à cette gloire, elle avait intitulé sa tournée le « Maria Malibran Tour ». Elle y était devenue l’ambassadri­ce de cette artiste au destin fulgurant et à la vie sentimenta­le tumultueus­e qui cumulait un jeune amant et un vieux mari et qui mourut en 1836, à 28 ans seulement, des suites d’une chute de cheval. Une histoire chasse l’autre. Vingt après son premier fait d’armes, la star italienne est de retour avec un nouveau Vivaldi. « Nous avions tant de matériel pour le premier disque que nous n’avions pas pu tout utiliser, explique-t-elle. Quatre-vingt-dix minutes, c’est si peu face à une telle oeuvre. » Le nouveau disque se concentre davantage sur le Vivaldi mélancoliq­ue, à qui on préfère souvent le virtuose, le pyrotechni­cien : « Pour le premier disque, mon inexpérien­ce avait prévalu. J’avais une vision essentiell­ement virtuose et instrument­ale. Vingt ans plus tard, j’ai mûri. Je sais maintenant que la voix doit toucher les gens. » De même, elle souligne les analogies existant entre les opéras et les oeuvres instrument­ales du compositeu­r italien. « Dans ce disque, des airs rappellent Les Quatre Saisons : le printemps, l’hiver. Le violon comme la voix sont des instrument­s de précision dotés de la même tessiture ; ils peuvent avoir la même virtuosité. Ils sont presque interchang­eables » explique celle qui, avec Lang Lang et les soeurs Berthollet, continue de caracoler en tête des ventes de disques classiques en France.

Il y a quelques jours, nous avons accompagné Cecilia Bartoli à Rimini où elle était invitée d’honneur à la réouvertur­e du théâtre fermé depuis la guerre. Soixantedi­x ans de tergiversa­tions à l’italienne et 35 millions de travaux pour que ce petit bijou soit de nouveau en ordre de marche. Son père étant natif de la ville, Bartoli, quoique romaine, était très fière d’inaugurer le lieu. Si le foyer avait pu être conservé, la salle et la scène avaient été détruites par une bombe tombée en 1943. « Depuis que je suis gamin, on parle de la reconstruc­tion », nous a avoué le directeur technique qui préparait la salle pour ce

SON PREMIER ALBUM “VIVALDI” S’ÉTAIT VENDU À 700 000 EXEMPLAIRE­S ; VINGT ANS APRÈS, VOICI LA SUITE

premier spectacle. Cecilia y a interprété l’un de ses meilleurs rôles : La Cenerentol­a de Rossini – l’histoire de la pauvre servante détestée par ses soeurs qui deviendra la reine, et que nous connaisson­s sous le nom de Cendrillon. Tout un symbole. C’est d’ailleurs grâce à Bartoli que cet opéra figure désormais au répertoire du Met de New York, qui ne l’avait jamais programmé.

UN TRIOMPHE AVEC “LA CENERENTOL­A”

A Rimini, elle a fait un triomphe devant une pléiade de dignitaire­s italiens, de dames en robe du soir et de militaires en costume d’apparat. « Un théâtre à l’italienne qui ouvre, c’est vraiment une chose si rare », nous a-t-elle confié dans sa loge, heureuse et émue d’être au centre d’un tel événement. Pour l’occasion, la diva était accompagné­e par l’orchestre Les Musiciens du Prince, une formation de très bon niveau financée par la principaut­é de Monaco. Là encore, c’est elle qui a convaincu le prince Albert et Son Altesse Sérénissim­e la princesse de Hanovre du bien-fondé de disposer d’une autre formation musicale, quand bien même la principaut­é posséderai­t déjà un orchestre philharmon­ique !

Forte de son aura internatio­nale et des deniers gagnés par ses ventes faramineus­es, Cecilia Bartoli a créé en Suisse, où elle habite, une fondation pour promouvoir de nouveaux artistes. Le premier d’entre eux est le ténor Javier Camarena, qu’elle a remarqué alors qu’il était étudiant à l’Opéra de Zurich. Aujourd’hui, elle présente son protégé comme « le meilleur ténor actuel », ni plus ni moins ! Sous son égide, le chanteur mexicain a enregistré un disque consacré au compositeu­r Manuel García. Tout sauf un hasard : il lui a probableme­nt été soufflé par Cecilia elle-même. Garcia était le père de Manuel Jr, l’inventeur de l’instrument servant à ausculter les cordes vocales encore en usage de nos jours, et surtout celui d’une certaine Maria Felicia, dite… La Malibran ! Entreprene­use avisée, Bartoli a par ailleurs accepté la direction du Festival de Pentecôte à Salzbourg. Ultime signe de reconnaiss­ance s’il en était besoin, quand on sait que ce festival était jusqu’alors exclusivem­ent dirigé par de grands chefs. « Je n’y inviterai que des gens que j’estime », dit-elle pour montrer qu’elle est déterminée à un changement de cap. Son carnet d’adresses l’y aidera. Son caractère aussi. ■

Vivaldi (Decca/Universal), concert à Luxembourg le 18 novembre, à Bruxelles le 20, le 3 décembre à la Philharmon­ie de Paris.

ALBUMS, FONDATION, DIRECTION DE FESTIVAL… LA CANTATRICE ITALIENNE AIME FAIRE FEU DE TOUT BOIS

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 ??  ?? Si Cecilia Bartoli est romaine, son père est natif de Rimini. D’où sa fierté d’être la première à rechanter dans son théâtre, démoli par une bombe en 1943.
Si Cecilia Bartoli est romaine, son père est natif de Rimini. D’où sa fierté d’être la première à rechanter dans son théâtre, démoli par une bombe en 1943.
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Dans la conception et la réalisatio­n d’un album, Cecilia Bartoli suit une règle : tout contrôler.

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