“NUL N’ÉCHAPPE AU CONDITIONNEMENT DES MÉDIAS”
Gilles-William Goldnadel
Voilà un homme de convictions et de combats. L’avocat bien connu, chroniqueur au FigaroVox, s’est plongé dans la lecture de Gustave Le Bon et de Freud. Nourri de ces
auteurs, il soutient que nos contemporains forment une foule au comportement plus névrotique que jamais sous l’influence des médias et d’internet. « Le Figaro Magazine » publie de larges extraits de son essai destiné à ceux qui ne veulent pas se contenter de subir. RÉSISTER À L’AIR QU’ON RESPIRE
DANS L’AUDIOVISUEL, UN EFFORT TRÈS ÉPROUVANT
Il m’est souvent arrivé lors de débats, principalement télévisés, de mesurer le poids social qui pèse sur les épaules d’un individu isolé au milieu d’une foule médiatique invisible et de prêtres cathodiques visibles, eux, autant que vigilants. Dans le cadre d’un débat intense ayant pour thématique des sujets qui fâchent, à commencer par celui de l’immigration étrangère, avec tapi en creux le soupçon de racisme, le poids du surmoi pèse, y compris sur le dos intellectuel et psychologique le plus robuste et musclé. La peur règne, physique, solitaire, animale, d’être écharpé par une multitude grégaire invisible autant que prévisible, ivre de son impunité et de son bon droit en raison de sa force et de son anonymat, rendue folle de rage par ce qu’elle perçoit comme la provocation d’un sorcier hérétique, vite dénoncé ex cathedra par quelque grand prêtre imprécateur. Dans ces circonstances, la parole se fait moins libre. Et vous mesurez, malgré vous, vos mots pour tenter, la plupart du temps maladroitement, d’amener la masse animale à quia. Mais la foule nombreuse, si elle n’est pas dotée de l’intelligence humaine d’un seul, a l’instinct primitif du troupeau de fauves qui sent l’odeur de peur du gibier traqué. Donc la gêne. Donc la honte. Si vous soupesez, dans ce cadre soupçonneux, vos propos, c’est bien qu’ils sont honteux. […]
Je suis de ceux qui prônent un exercice psychologique de « déconditionnement » après l’immense décérébration entreprise depuis quarante ans et qui a abouti à la constitution du plus terrorisant des surmoi. Il passe notamment par réapprendre à dire sans trembler ce que l’on veut et peut dire, nonobstant les guets-apens des vrais sots, les embuscades des faux dévots et l’étiquetage médiatique avec de vilains mots. Par apprendre à rire lorsqu’une foule de vilains vous font un méchant procès. La variante, plus vigoureuse, consiste à pratiquer en cinq caractères latins ce que j’ai nommé le cambronnisme et qui se passe de grands discours et de petits dessins.
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L’ODIEUSE UTILISATION MILITANTE DES IMAGES
L’opinion publique, travaillée par l’image choc instantanée, n’est autre qu’une foule médiatique à l’esprit critique annihilé. […] On remarquera que tous les enfants martyrs iconisés sont victimes de la barbarie blanche : les images des enfants martyrs d’Assad, de Daech, du Hamas ou de Boko Haram, de Nice ou de Barcelone n’ont été mémorisées ni historiquement ni hystériquement. A Barcelone (après un attentat djihadiste, ndlr) l’Eglise cathodique a justifié son refus de donner un prénom et un visage à l’enfant australien gisant, au nom de la pudeur et de la décence. Deux nobles sentiments écartés pour les enfants d’Islam, Mohammed et Aylan, sans doute au nom du droit à l’information et à l’indignation collective. Ainsi, pour protester efficacement contre la séparation des familles d’illégaux mexicains par l’Administration Trump, il fallait impérativement des images d’enfants. Or, elles manquaient… Qu’à cela ne tienne, la presse utilisa des photographies d’enfants guatémaltèques ou palestiniens présentés (mensongèrement) comme captifs. La foule médiatique, circonvenue mais pourvue en images pieuses, put s’enflammer contre le président américain qui, consumé de honte, fit machine arrière. […] La juste fin justifie les vilains moyens quand on appartient au camp du Bien. […]
CES GUERRES LEXICALES PERDUES
On remarquera que l’épithète politique péjorative de « droitier » ne connaît pas de symétrie, le personnel politique français ne comprenant apparemment pas de gauchers… Egalement, on pourra noter que s’il existe nommément sur les réseaux sociaux une « fachosphère » – dont l’appellation ne se veut certainement pas flatteuse –, la gauchosphère y est à peine nommée et l’islamosphère non répertoriée. […] Dans le domaine de la politique extérieure, l’usage des mots n’est pas plus neutre. Ainsi, on remarquera que la métaphore ornithologique du « faucon », pour qualifier une personnalité politique belliqueuse, est réservée uniquement aux Occidentaux.
J’en profite pour faire observer qu’il en est de même pour le terme d’« extrême droite ». Par exemple, aucun faucon ne plane dans le ciel de Téhéran dont le Parlement, s’il comprend de nombreux « ultraconservateurs », ne connaît en apparence et curieusement aucun député d’extrême droite ni même ultranationaliste, les termes de nationaliste ultra étant préférentiellement associés à l’Occident ou au monde slave. […]
En face des mots pour dévaloriser, on trouve évidemment des mots pour apaiser, des mots pour éteindre le feu dans le cadre d’une politique d’apaisement, des mots pour gratifier, des mots pour célébrer : « vivre-ensemble », « inclusion », « population arc-en-ciel », « rassemblement citoyen », « commerce équitable », « économie solidaire », « une marche blanche, digne et silencieuse » – qui, bien évidemment, s’agissant d’un rassemblement de victimes du terrorisme ou de la criminalité, ne saurait être animé par une colère noire… sauf à être défiguré.
LE RÉÉDUCATEUR EN CHEF : HOLLYWOOD
Le bien nommé Avatar de James Cameron mériterait à lui seul une véritable étude, au regard de son message subliminal politiquement et moralement correct. D’un côté, et sans exception aucune, il y a les méchants Blancs, militarisés à l’américaine, avec coiffure nazie. De l’autre, une planète de gentils sauvages colorés envahie par les Blancs. Et, au milieu, un Blanc grimé en sauvage, envoyé pour les trahir. Dans l’armée « américaine » de ce film, seuls les Noirs sont gentils, ainsi qu’une femme métissée. A la fin, l’espion blanc change de camp pour rejoindre les gentils sauvages, et du coup, change de peau. Avatar, en plus d’être un blockbuster planétaire, est à mes yeux un programme dont on ne sait s’il est délibérément formateur ou inconsciemment formaté ; à moins que ce ne soit les deux à la fois. Il est en tout cas stupéfiant et significatif qu’il n’ait pas fait l’objet du moindre examen critique.
COMMENT EN EST-ON ARRIVÉ LÀ ?
Le fameux « CRS SS ! » hurlé par la première génération des quasi-adultes qui venaient de prendre en pleine face l’horrible révélation imagée du crime majeur européen (la Shoah) était bien plus qu’un calembour inepte : un lapsus. Lapsus révélateur de la tragique confusion qui allait désormais régir et régenter la vision consciente mais surtout inconsciente des rapports sociaux, culturels, politiques, nationaux comme internationaux. « Nous sommes tous des juifs allemands ! » se vantaient-ils en choeur. […] Un mensonge habitait à l’intérieur de ce mensonge, puisque Daniel Cohn-Bendit, précisément l’un des meneurs, n’avait pas été qualifié par le ministre de l’Intérieur pour l’expulser, d’« anarchiste juif allemand » mais seulement d’« anarchiste allemand ». […] Ce slogan de la rue qui flottait dans l’air du temps désinvolte et insouciant a depuis fait son chemin dans les alvéoles cérébrales malléables et tracé un sillon profond dans les salles de rédaction. Dans les années qui vont suivre, l’Etat et ses institutions régaliennes (armée, police, justice) vont ainsi être comparés de manière systématique et compulsive aux institutions de l’Allemagne nazie ou de l’Etat de Vichy, le policier au gestapiste, le militaire au Waffen-SS, les tribunaux aux sections spéciales. Le nazisme et la collaboration vont demeurer l’horresco referens à laquelle chacun, sauf à se damner, se doit de ne ressembler ni de près ni de loin.
AIMER L’AUTRE DE PRÉFÉRENCE AUX SIENS
Il en a résulté dans l’inconscient collectif contemporain, soumis à la communion religieuse émotionnelle de masse, une répudiation massive de l’homme blanc. Le prix nécessaire de la rédemption. […] L’homme occidental supérieur et (jadis) tellement méprisant est devenu, en l’espace d’un génocide, et d’une génération élevée dans son culte émotionnel, un être moralement inférieur et intimement méprisé. Il n’y avait pas que de la déconsidération. Il y avait aussi un refus de l’identification à la figure secrètement honnie d’une paternité impossible. Identification père-fils dont l’ensemble de la doctrine psychologique s’accorde à reconnaître la nécessité absolue. […] Dans ce refus occidental contemporain de l’identification au père blanc d’hier considéré coupable se niche aussi le refus de s’identifier à la loi du vieux père mâle blanc autoritaire. […] L’enfant contemporain du père blanc biologique déconsidéré se veut, donc se vit, inconsciemment de couleur neutre. Il ne se déteste pas, contrairement aux clichés sur la haine de soi. Mais il déteste ou plutôt méprise, mésestime le Blanc d’à côté. Son voisin. Son cousin franchouillard. […] Son sang de Blanc vulgaire, sexiste et raciste ne coule pas dans mes veines. Mon sang à moi n’est pas blanc. Il est transparent, arc-en-ciel, multicolore, en cours de transfusion universelle. Il est noble, il est bleu, il est pur
“L’homme occidental supérieur et (jadis)
tellement méprisant est devenu un être moralement inférieur et intimement méprisé”
parce que précisément promis au métissage. La rédemption passerait par la disparition du mauvais sang trop blanc. De l’idéologie honteuse du tout aryen, un sentiment collectif inconscient et honteux (refoulé, dirait Freud) de vouloir devenir rien du tout s’est mis en place progressivement et a donné lieu au développement d’une idéologie de déstructuration punitive systématique, quasi génocidaire, de l’homme hétérosexuel blanc, dans son histoire, sa géographie, et jusqu’à son sexe.
FACE À LA FOULE HYSTÉRIQUE DU MONDE VIRTUEL
Il y a cent ans, au siècle de Le Bon et de Freud, certaines foules physiques rendaient le monde plus dangereux et incertain. Aujourd’hui, au sein d’un univers cybernétique virtuel globalement médiatisé, réunissant instantanément l’ensemble des individus connectés en plusieurs groupes compacts, le monde contemporain est devenu une foule forcément délirante. Avec les caractéristiques irrationnelles et incontrôlables inhérentes à celle-ci. Cette situation totalement inédite est aggravée par deux facteurs supplémentaires : la profonde dépression de l’homme occidental, accablé par la honte du passé et l’angoisse du futur, ainsi que la perte de prestige accélérée des meneurs de foule. Et rien n’est plus dangereux qu’une foule qui panique, ainsi le Titanic privé de capitaine et de sauveteurs fiables. […]
Le militaire et historien Polybe (mort en 120 avant J.-C.) a imaginé avec fatalisme une théorie cyclique de la succession des régimes politiques, l’anacyclose, entérinée par Cicéron et reprise par Machiavel. Pour lui, l’ochlocratie représenterait le stade ultime de la dégénérescence du pouvoir, décomposée en six phases qui verraient sombrer la monarchie dans la tyrannie, suivie par l’aristocratie qui se dégraderait en oligarchie, suivie de la démocratie qui basculerait dans le pire ; la sixième phase serait l’ochlocratie, où il ne resterait plus qu’à attendre l’homme providentiel qui refondrait une monarchie. […] Je soutiens ici que notre époque, qui pourrait être postpolitique, offre le pire exemple d’une ochlocratie médiatique électronique mondiale, dont le pouvoir politique serait très largement le jouet, et qui pourrait constituer la sixième phase redoutée par Polybe. […] J’ai même l’intuition que chaque innovation technique de communication élargit le pouvoir ochlocratique. Les gazettes imprimées massivement ont galvanisé les foules révolutionnaires bientôt coupeuses de têtes aristocratiques. La TSF et le cinéma parlant ont fait le lit des foules physiques fascistes et communistes enchaînées et antidémocratiques. Le passage à la connexion télévisuelle électronique globale et permanente fait celui des foules médiatiques hyperdémocratiques et déchaînées. ■