LE “MACHIAVEL DU MONDE RURAL”
Le lobbyiste de la Fédération nationale des chasseurs, qui a eu notamment la « tête » de Nicolas Hulot en septembre dernier, fait partie des rares représentants de sa profession qui assument tout sans état d’âme ni fausse pudeur.
Qui, en dehors de ses clients industriels, des chasseurs et de leurs soutiens, de ses rivaux lobbyistes et de quelques journalistes, connaissait vraiment Thierry Coste avant le départ fracassant de Nicolas Hulot, en septembre dernier ? Depuis la démission de l’ex-ministre de la Transition écologique et solidaire à l’issue d’une réunion d’arbitrage à l’Elysée, en présence du président de la République, sur la réforme de la chasse française, le lobbyiste de la Fédération nationale des chasseurs, du Comité Guillaume-Tell (qui représente les propriétaires légaux d’armes à feu) et « conseiller ruralité officieux » d’Emmanuel Macron est partout. Toute la presse nationale ou presque a fait le portrait « du chasseur flingueur » de Hulot, filant à chaque fois la métaphore cynégétique et brodant sur le bleu perçant de ses yeux de « tueur froid sans état d’âme ».
Tout pour plaire à Thierry Coste, qui aime particulièrement ce genre de publicité. Avec son profil de « bon client » pour les médias, parlant sans langue de bois et avec un emportement calculé, il est l’invité régulier de certaines émissions, notamment sur Europe 1 et RMC, où l’on apprécie son côté polémiste et son goût pour la confrontation musclée. De fait, l’homme fascine et sait retourner son interlocuteur comme personne. Dans le monde feutré et secret des lobbyistes, sa franchise détonne, comme son rire fracassant de grand gosse turbulent. A la différence de certains de ses confrères, il assume tout – vraiment tout – avec une vraiefausse candeur désarmante et ne se cache derrière aucune forme de morale. Depuis plus de vingt ans et avec une fidélité totale, Coste se donne tout simplement au plus offrant, pourvu qu’il « sente » celui qui le paye.
NÉGOCIATEUR, INFLUENCEUR,
MANIPULATEUR S’IL LE FAUT
Autodidacte assumé, lobbyiste dans tous les sens du terme, il se revendique comme un mercenaire qui choisit minutieusement ses contrats. C’est ce qui l’a conduit ces dernières années à travailler notamment pour plusieurs chefs d’Etats africains, dont le prési- dent du Tchad Idriss Déby. Il est aussi intervenu pour défendre des intérêts russes dans la vente des bâtiments de projection et de commandement de type Mistral, ainsi que ceux de la République turque de Chypre du Nord dans le cadre du rapprochement des deux parties de l’île sous l’égide des Nations unies. Il agit aussi comme négociateur pour le compte d’entreprises françaises dans les secteurs les plus divers (de la banque à l’environnement, de l’armement à l’agroalimentaire, de la santé à l’énergie, du numérique à l’automobile…) qui doivent gérer des crises financières et politiques en France, à Bruxelles ou dans les pays où elles sont implantées, comme il l’a fait dernièrement en Mauritanie. Dans un autre registre, sa société Lobbying et Stratégies, créée 1994, « assiste à l’étranger des PMI-PME innovantes qui ont besoin du soutien de la diplomatie économique française pour faire face aux concurrents américains et chinois quel que soit le secteur économique » et conseille des fonds de pension dans différents secteurs, notamment sur le Brexit. Manipulateur et rompu, « s’il le faut, aux coups tordus », il a « orchestré lui-
même » dans le cadre d’une caméra cachée, la polémique sur le retrait de son badge de libre circulation au PalaisBourbon en 2012 « pour dénoncer l’hypocrisie de l’Assemblée nationale par rapport à la pratique du lobbyisme beaucoup plus transparent au Parlement européen. » Une affaire qui avait fait grand bruit à l’époque. « Dans notre pays, lance-t-il, les lobbyistes viennent assez fréquemment de deux moules qui se ressemblent étrangement, à savoir la politique et la haute administration. Après une alternance pour rentabiliser un carnet d’adresses qui ne demande qu’à servir. C’est la même chose pour les hauts fonctionnaires et certains préfets qui arrivent à la retraite et se dépêchent d’aller frapper à la porte de certains cabinets de lobbying un peu ringards. Or ce métier requiert autre chose qu’un savoir technocratique ou institutionnel. Pour élaborer une bonne stratégie, il faut d’abord bien connaître le champ de bataille et donc être parachuté de l’autre côté des lignes ennemies. A tel point que je passe plus de temps à comprendre les adversaires et les partenaires de mes clients que mes clients eux-mêmes. » Politiquement, le « Machiavel de la ruralité », comme il aime se présenter, a autant d’amis, de soutiens et de contacts à gauche qu’à droite et même à l’extrême droite. Avant de « murmurer à l’oreille d’Emmanuel Macron » et de lui offrir sur un plateau une large part des quelque 1,2 million de voix de l’électorat des chasseurs, Thierry Coste a gravi une à une les marches qui mènent aux différents lieux de pouvoir de la Ve République. Né à Poligny, dans le Jura, en 1955, il passe un bac agricole et fonde un service départemental d’entraide au service des agriculteurs en difficulté en Haute-Saône. Puis il s’installe à son compte comme paysan en 1975. Eleveur pendant neuf ans, il gère sa ferme et se passionne pour le syndicalisme. Fasciné par le trotskisme tendance « rouge-verte », il est l’un des fondateurs de Paysans travailleurs, qui pose les fondations de la Confédération paysanne. De 1984 à 1988, il dirige aussi l’association nationale Jeunes et Nature, le mouvement
“Pour élaborer une bonne stratégie, il faut d’abord bien connaître le champ de bataille”
de jeunesse de la Fédération française des sociétés de protection de la nature (aujourd’hui France Nature Environnement). Proche de la plupart de ceux qui vont devenir les écologistes politiques des années 1990, il est également à l’origine de la création de deux fédérations de protection de la nature, celle de Haute-Saône et celle de FrancheComté. Un début de carrière qui hérisse littéralement ses détracteurs écolos d’aujourd’hui, qui ne comprennent toujours pas comment « un des leurs » a pu devenir la « traître » voix des chasseurs. Puis, lassé par les actions commandos contre les préfectures, les blocages de routes, les charrettes de purin déversées et la confrontation sans fin avec « les technocrates » de tout poil qui gèrent les questions agricoles, le paysan révolté veut aller plus loin.
PROCHE DE LA GAUCHE COMME DE LA DROITE
« En lisant un article dans Le Canard enchaîné sur le souhait du président François Mitterrand de parler d’écologie aux jeunes, j’ai proposé mes services au culot, raconte Thierry Coste. Et, quelques semaines plus tard, l’Elysée et le ministre de l’Intérieur Pierre Joxe me confiaient la mission d’organiser des déplacements du président de la République sur le thème des feux de forêt autour d’une campagne nationale, “Fais gaffe au feu”. » Dès lors, le loup est dans la bergerie. Entre 1988 et 1994, il fonde et dirige un cabinet de conseil en stratégie nommé Atout Vert. A gauche, il propose ses conseils à de nombreux ministres, dont Laurent Fabius, et soutient des maires et des collectivités locales. Et devient, dans le même temps, à droite, le « conseiller environnement » de plusieurs présidents de conseils régionaux comme Jean-Pierre Raffarin, Jacques Blanc ou Jean-Pierre Soisson, puis accompagne la création d’agences régionales de l’environnement en Picardie, Poitou-Charentes, Midi-Pyrénées, Aquitaine et Paca. Devenu officiellement lobbyiste en 1994, Thierry Coste reprend de façon ponctuelle son activité de conseiller politique entre 1998 et 2004, comme directeur de campagne de Jean SaintJosse, leader du parti Chasse, Pêche, Nature et Traditions, pour les élections européennes, cantonales, régionales et la présidentielle de 2002. Avec Guillaume Peltier, il codirige la campagne des élections européennes de Philippe de Villiers en 2004. Mais « par amitié », il continue à brouiller les pistes en soutenant activement les campagnes électorales de Maxime Gremetz, député communiste de la Somme et de François Patriat, sénateur socialiste de la Côte-d’Or, ancien ministre et ancien président de la Région Bourgogne. En 2007, Emmanuelle Mignon, alors conseillère de Nicolas Sarkozy, lui demande d’être « la plume chasse » du candidat à la présidentielle. En 2012, autres temps autres moeurs, il propose au candidat François Hollande, « à titre amical et bénévole », de devenir son conseiller chasse et ruralité face à… Nicolas Sarkozy. Et, en 2016, grâce à son ami François Patriat, il est au côté d’Emmanuel Macron… « Ni énarque ni franc-maçon, mais chasseur », Thierry Coste est surtout au service de la seule cause en laquelle il croit vraiment : la défense du monde rural. La seule qu’il ne trahira pas, même au plus offrant. Son talon d’Achille en somme. ■