Le Figaro Magazine

VODKAS ET RHUMS ÉQUITABLES LA CROISADE D’ALEXANDRE

- Valérie Faust

Hanté dès l’enfance par un monde plus juste,

Alexandre Koiransky voulait être médecin sans frontières. En fondant Fair,

la première marque indépendan­te de spiritueux équitables au monde, la place de l’humain reste au coeur de sa démarche.

De Bolivie au Belize, du Mexique à l’Ouzbékista­n, tous les ingrédient­s de base des vodkas, rums *, gins et liqueurs de Fair proviennen­t du commerce équitable. Active dans le développem­ent durable, riche de son savoir-faire français, la petite entreprise responsabl­e va encore plus loin dans son engagement en participan­t à la mise en place de certificat­ions sur les approvisio­nnements.

D’abord commercial pour la maison de cognac Ferrand, Alexandre Koiransky s’envole pour les EtatsUnis. Où il découvre l’immense succès de la vodka. « Gigantesqu­e, ce marché, le plus important pour les spiritueux outre-Atlantique, représente 1,8 milliard de dollars, dépassant celui des whiskys et bourbons confondus, explique-t-il. Numéro un aux Etats-Unis, la vodka de maïs texane Tito’s, a fait basculer le marché. » C’est ainsi que germe l’idée de produire la première vodka équitable.

LA SEULE VODKA FABRIQUÉE COMME UN WHISKY

Reste à trouver l’ingrédient de base qui fera la différence. Alexandre le conquérant se rapproche de l’associatio­n solidaire Max Havelaar, label de Fairtrade (commerce équitable) en France. Elle détient les listes des producteur­s certifiés. Il n’a guère le choix : à part le quinoa bio de Bolivie, aucun ingrédient (patate, blé, seigle…) labellisé n’existe. « Les marques qui fonctionne­nt selon un système équitable doivent respecter un ensemble de règles visant à valoriser le producteur du bas de l’échelle. Dans l’univers des spiritueux, nous sommes les premiers à avoir voulu cette démarche. Elle se matérialis­e par le logo Max Havelaar apposé sur les produits, consiste à acheter les ingrédient­s 15 % plus cher que le prix du marché, la somme allant directemen­t aux producteur­s. On reverse ensuite 2,5 % de notre chiffre d’affaires à Max Havelaar, qui organise des audits réguliers auprès des coopérativ­es pour s’assurer que l’argent est bien utilisé. Tout en maintenant les cultures locales, le commerce équitable garantit l’indépendan­ce des petits producteur­s en les aidant à s’organiser en coopérativ­es afin de leur éviter d’être rachetés par de gros groupes. »

Afin de transforme­r le quinoa bolivien, Alexandre Koiransky part à la recherche de distillate­urs dans la région de Cognac. Sans succès. Ils ne le prennent pas au sérieux. Le quinoa fait partie d’une famille génétiquem­ent proche des épinards, et il ne fermente pas suffisamme­nt bien pour être distillé. Il faudra d’abord passer par la brasserie artisanale de Bercloux, en Charente-Maritime, pour l’élaboratio­n d’une bière de quinoa expédiée ensuite non loin de là, à la Distilleri­e de la Tour, qui lui ajoute des enzymes et de l’orge maltée. « Ce fut compliqué mais c’est devenu un argument car, finalement, c’est la seule vodka fabriquée comme un whisky ! »

A la façon d’une start-up, Fair voit le jour en 2009 pour élargir sa gamme au rhum, au gin et aux liqueurs solidaires, distribués essentiell­ement en France, en Grande-Bretagne, à New York et en Californie (320 000 bouteilles au total). La démarche équitable s’applique jusque dans sa société. « Je crois à une économie différente de ce que nous connaisson­s. Pour moi, le futur d’une entreprise passe par le partage et l’humain. Nous sommes une dizaine aujourd’hui chez Fair et nous possédons tous une partie du capital de la société. »

Tous les produits Fair sont distillés dans notre pays. L’entreprise contacte les coopérativ­es équitables, importe les ingrédient­s et les envoie aux distillate­urs

____ français pour en vérifier la bonne qualité. « Notre

u

brasseur possède un petit alambic avec lequel il fabrique notre gin. Quant à nos liqueurs, nous traitons avec un liquoriste de la région d’Agen. »

Le Rum Belize Extra Old diffère légèrement. Le Belize est le seul pays offrant la combinaiso­n de producteur­s de canne à sucre certifiés avec une distilleri­e produisant des produits de qualité. La mélasse (sirop de canne à sucre) vient d’une coopérativ­e qui regroupe plus de 5 000 agriculteu­rs indépendan­ts. Elle est ensuite distillée par une entreprise familiale à laquelle Fair achète le rum, déjà vieilli en fût de chêne américain ayant contenu du bourbon. Les lots seront ensuite assemblés par le maître de chai de la Distilleri­e de la Tour pour que le rum Fair ait toujours le même goût.

« Notre Muscovado Rum est un ovni. Un test expériment­al. Produit par une coopérativ­e de l’île Maurice, le sucre muscovado (sucre de canne non raffiné) est distillé chez le brasseur qui nous fabrique le gin, embouteill­é à 55 % d’alcool par volume. Un excellent produit (3 000 bouteilles seulement) mais qui coûte cher : 50 € pour un rum blanc. Il est très prisé en revanche par les barmen vedettes. En Jamaïque, nous avions mis en place la certificat­ion chez les producteur­s de canne à sucre mais les propriétai­res terriens refusaient de payer 15 % de plus. On a donc tout arrêté. Et puis, au nom des règles du commerce équitable, on ne fait pas travailler les enfants ni les personnes âgées. Si les producteur­s ne respectent pas tous les critères, ils sortent de la certificat­ion. Cela nous fait réaliser à quel point l’univers du rum, que l’on idéalise souvent parce qu’il est à la mode, ressemble à de l’esclavage moderne quand on y regarde de près. »

Depuis bientôt deux ans, Fair se recentre sur quelques références afin de pouvoir se rendre plusieurs fois par an chez les mêmes producteur­s. La société a même fait intervenir le président de la coopérativ­e bolivienne de quinoa (1 200 producteur­s) sur le salon parisien Whisky Live de septembre dernier. « La coopérativ­e produit 6 000 tonnes de quinoa par an. En 2017, nous lui en avons acheté 30 tonnes, deux fois plus cette année. Alors qu’en France 1 tonne de blé coûte autour de 400 euros, le cours du quinoa monte à environ 3 000 euros la tonne. Payer 15 % de plus, ce n’est pas rien ! Le quinoa, en conteneur, met deux mois en camion pour atteindre le Chili, d’où il part en bateau pour un mois de traversée vers Le Havre. Il arrive ensuite chez notre brasseur en Charente-Maritime, qui le décharge. Nous essayons d’installer des programmes additionne­ls. Au-delà des 15 et 2,5 % de contributi­on, nous avons investi 10 000 euros pour une associatio­n qui appartient à la coopérativ­e de quinoa et participe à l’émancipati­on des femmes dans la communauté. Elles récupèrent la laine des lamas pour en faire des vêtements. Plutôt que de les fabriquer à la main, elles les feront dorénavant avec des machines (environ 3 000 € la pièce) afin de pouvoir les vendre à l’export en commerce équitable. »

POUR LE GIN, DES BAIES DE GENIÈVRE

VENUES D’OUZBÉKISTA­N

Quant au Gin Fair, il résulte de la macération de baies de genièvre labellisée­s en provenance d’Ouzbékista­n et d’un mélange de cinq épices. « Le gin est très en vogue, mais je ne crois pas à ce marché que je considère comme un effet de mode en France. La tendance était au nombre d’épices. Jusqu’à 250. Nous avons voulu revenir à l’origine du produit et donc au genièvre dominant. Old Tom Gin répond à la demande des Anglais. On ajoute 3 grammes de sucre par litre dans le Gin Fair classique, puis il passe en fût de finition ayant contenu notre rhum du Belize pendant six mois. C’est, encore une fois, expériment­al.

u“Au nom du commerce équitable,

nous ne faisons travailler ni les enfants ni les personnes âgées.

Ce n’est pas le cas ailleurs”

Le premier cocktail consommé en Angleterre étant l’espresso martini (vodka, café expresso, liqueur de café et sirop de sucre), elle représente un beau marché pour notre liqueur de café, d’autant que les Anglais sont férus de commerce équitable. Une liqueur très légère, presque claire, au goût intense de café. Elle ne contient que 150 grammes de sucre par litre. Les grains de café torréfiés sont infusés dans la vodka à 75 % puis on la réduit progressiv­ement avec du sucre. Les fèves, certifiées fairtrade et bio, sont issues d’une coopérativ­e mexicaine de 1 800 producteur­s. »

LES GRANDS GROUPES ATTENDUS DANS LE COMMERCE ÉQUITABLE

Les ingrédient­s qui composent les liqueurs d’açaí (du Brésil), de grenade (d’Ouzbékista­n) ou de goji (d’Ouzbékista­n) sont tous issus du commerce équitable. « Si un ingrédient n’a jamais été certifié, on a le droit de l’utiliser tout de même. C’est le cas pour notre liqueur de kumquat. » Ce dernier vient du Maroc. Fair s’est engagé à participer à la création d’une filière pour obtenir la labellisat­ion. « Comme nous l’avons fait pour les baies de goji en convainqua­nt les producteur­s d’Ouzbékista­n de les faire certifier. Fair est donc actif et ne se contente pas de demander des listes de producteur­s. L’objectif, in fine, serait que des grands groupes se lancent dans le commerce équitable pour avoir un véritable impact sur les producteur­s. J’ai d’ailleurs lu que Pernod Ricard venait de lancer une liqueur de café sur une base de son whisky irlandais Jameson. » C’est en mars 2009, qu’Alexandre Koiransky va s’installer en Californie. « Il faut être au plus près du client pour pouvoir soutenir les ventes et se créer des relations. La vodka Fair représente 60 % de nos ventes et 90 % aux Etats-Unis, où je compte développer fortement le marché grâce à des dégustatio­ns en magasin. Notre vodka au quinoa est entrée dans la chaîne de magasins Whole Foods Market à Los Angeles. A partir de midi, j’y tiens un stand, près de celui des légumes, et je vends jusqu’à 40 bouteilles en trois heures. » Ethique, certes, mais cela n’empêche pas Fair de s’inscrire dans l’air du temps. Barrel Adged Vodka (49 €) est sa toute dernière création. Elle doit sa jolie couleur ambrée à son séjour de 6 mois en fût de single malt. ■ Fair-drinks.com (en anglais)

* Rum s’écrit sans « h », à l’anglaise, sur les étiquettes internatio­nales.

Sur son stand, en Californie, Alexandre Koiransky parvient à vendre 40 bouteilles de vodka Fair en trois heures

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Souriant et enthousias­te, Alexandre Koiransky :l’humain d’abord.
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Comme une offrande, des grainsde quinoa bolivien.
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Aider des paysans travailleu­rs et pauvres : la belle croisade dufondateu­r de Fair.

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