LE THÉÂTRE
Au Rond-Point, le comédien dit et joue les textes de l’humoriste comme s’il les avait lui-même écrits.
Revoici François Morel. Et Raymond Devos. L’un avec l’autre. L’un par l’autre. L’un dans l’autre. Entre eux, il y a une histoire d’amour. Morel, jeune étudiant, découvre Devos dans les années 70. Ecoutons-le : « Un miracle… Il ne ressemblait à personne. Personne plus jamais ne lui ressemblera… Un grain de folie capable d’enrayer la mécanique bien huilée de la logique, de la réalité, du quotidien… Comme les arcs-en-ciel de feu circulaire, comme les colonnes de lumière, comme les vents d’incendie, comme les nuages lenticulaires, il a surgi, miraculeux et mystérieux, derrière un rideau rouge qui s’ouvrait sur l’imaginaire… Un homme en apesanteur… ».
Qui l’eût-cru ? Que ce clown immense, extravagant, fils du diable, dépucellerait un jour ce gentil garçon au sourire d’ange, timide et raisonnable enfant de Dieu ? Cela s’est fait, peu à peu, au fil des années, mine de rien, au long d’une carrière intelligemment menée, chez Ribes d’abord, avec Palace, puis parmi les Deschiens, ensuite dans la chanson à textes, et au théâtre avec Molière, à la radio, écrivain enfin, philosophe du vendredi, partout quoi, et aujourd’hui au Rond-Point dans un étrange duo avec Devos.
Le spectacle s’appelle J’ai des doutes *. Ce titre est celui d’un des sketches les plus célèbres de l’humoriste. On se le rappelle : « Hier soir, en rentrant dans mes foyers plus tôt que d’habitude, il y avait quelqu’un dans mes pantoufles. Mon meilleur copain. Si bien que je me demande si, quand je ne suis pas là, il ne se sert pas dans mes affaires ! J’ai des doutes... » Et ainsi de suite : pendant une heure et demie, Morel livre un festival des meilleurs textes de Devos. Il ne les dit ni ne les lit, il les joue, il les vit avec une gourmandise et une empathie merveilleuses, accompagné, assisté, ou plus exactement accouplé à un artiste musicien plein de talent, Antoine Sahler, et c’est épatant.
Ce sont les textes les plus proches de la vérité de Devos, c’est-à-dire non pas seulement du Devos jongleur, joueur de mots, clown de l’absurde, mais du Devos poète. Et musicien. On y découvre un coeur qui cache sa tendresse sous le masque du pitre mais aussi ce qui lie si profondément Morel et Devos. Deux grands enfants fragiles et pudiques, volontiers nostalgiques voire mélancoliques, amoureux fous de l’amour et de la liberté, et à l’imaginaire inépuisable. Il faut écouter attentivement ce qu’il y a sous les mots de Devos. Et lire un petit livre récent de François Morel, C’est aujourd’hui que je vous aime (Editions du Sonneur) qui raconte les premiers émois amoureux universels d’un être humain.
François Morel et Raymond Devos : la même profondeur sous la même légèreté. La même humanité.
* Théâtre du Rond-Point, Paris VIIIe (01.44.95.98.21).
Deux grands enfants fragiles
et pudiques