DR JOHNSON, SA CROISADE CONTRE LA LÈPRE
Nous avons accompagné l’un des plus éminents léprologues au Bénin, où la Fondation Raoul-Follereau continue d’innover dans son combat contre ce fléau qui touche chaque année plus de 200 000 nouveaux cas.
Le problème avec la lèpre, comme avec toutes les maladies de peau, c’est que ce n’est pas très sexy comme cause… » Assis sur le bord d’une pirogue sillonnant les eaux calmes d’un lac du sud du Bénin, le Dr Christian Johnson nous dispense un cours magistral accéléré sur ce mal mentionné pour la première fois dans le Lévitique, soit plusieurs siècles avant notre ère. Classée par l’OMS dans les « maladies tropicales négligées » (en opposition aux « maladies prioritaires » telles que les virus Zika, Ebola ou la tuberculose), la lèpre est l’une des sept maladies à manifestation cutanée avec l’ulcère de Buruli, la gale ou le pian.
« On recense 210 000 nouveaux cas chaque année, poursuit celui qui s’illustre depuis plus de vingt ans dans le combat contre cette affection. Mais le dépistage peut s’avérer difficile, donc ce chiffre n’est qu’un strict minimum. Et cette situation stagne depuis des années : depuis que l’OMS a déclaré que la lèpre était une maladie éliminée et que le dépistage passif avait pris le pas sur le dépistage actif. C’est-à-dire un dépistage où le patient doit se rendre lui-même dans un centre de soins. C’est pour cela que nous avons entrepris de réinventer la manière dont nous agissons. Et le village d’Agonvé est un exemple parfait des différentes problématiques auxquelles nous faisons face. » Président de l’ILA (International Leprosy Association), conseiller médical de la Fondation Raoul-Follereau qui lutte depuis 1942 contre la lèpre, le Dr Christian Johnson a ce don rare de l’éloquence. Il est de ceux que l’on écoute lorsqu’il parle, et inspire le respect de celles et ceux qui travaillent avec lui. Fils d’un fonctionnaire et d’une sage-femme, Christian étudie à Cotonou, la capitale de son pays natal, et poursuit sa médecine à Anvers où il soutient une thèse de santé publique. Avec comme modèle un autre médecin béninois, Claude Zinsou, il est confronté très rapidement à l’ulcère de Buruli, puis s’intéresse à la lèpre.
Aujourd’hui, à 45 ans et après deux décennies de pratique, Christian ne tarit ni de motivation ni d’énergie et n’a de cesse d’arpenter le terrain plutôt que de rester derrière un bureau. « Il n’y a pas beaucoup de maladies dont le nom est aussi puissant, poursuit l’infatigable docteur tandis que nous approchons de la rive du village. La lèpre. Il y a toute une mythologie autour, mais aussi, et surtout, beaucoup de méconnaissance. C’est une maladie qui se nourrit de deux choses : de la pauvreté et de l’ignorance. Alors forcément, ce sont toujours les plus démunis qui en souffrent. » Transmission, symptômes, traitement, séquelles… Alors que le mot « lèpre » appartient presque au langage courant, beaucoup ignorent – par exemple – qu’il est virtuellement impossible de la contracter par un simple contact avec un malade. « C’est un mal particulièrement insidieux, estime Christian Johnson. Les bactéries se développent très lentement, ce qui rend presque impossible la culture en laboratoire pour travailler sur un vaccin. On ne l’attrape qu’avec une exposition régulière et prolongée. Il m’arrive de dépister des patients qui ont été contaminés cinq ou dix ans plus tôt. Et comme la lèpre s’attaque aux nerfs périphériques, les séquelles qu’elle provoque sont irréversibles : perte de l’usage d’une main, d’un pied ou encore complication ophtalmologique. »
UNE MALADIE QUI FRAPPE LES PLUS DÉMUNIS
L’évolution de la lèpre chez un patient se manifeste ainsi : apparition de taches indolores, paralysie d’un membre ou d’une zone du visage, création d’un ulcère qui entraîne rapidement une plaie. Des handicaps avec lesquels doivent vivre les 3 millions de personnes recensées comme guéries de la lèpre. Des handicaps particulièrement complexes à gérer dans les régions où la lèpre sévit le plus : des zones rurales, isolées, où les conditions sanitaires sont souvent critiques, voire
inexistantes. Une zone comme celle du village d’Agonvé où nous arrivons avec Christian Johnson et une équipe de la Fondation Raoul-Follereau. Agonvé, c’est 3 000 habitants entassés sur une petite île écrasée par la chaleur et vivant dans un entrelacs de petites maisons en bois, en terre et en tôle. Pas d’accès à l’eau potable et latrines à ciel ouvert où frayent porcs et volailles : dans ce village où l’on manque de tout subsiste une coendémicité de lèpre et d’ulcère de Buruli. Et c’est ici que la Fondation Raoul-Follereau et Christian Johnson ont décidé de mettre à l’épreuve leur nouvelle stratégie. En septembre dernier, l’OMS a publié de nouvelles directives recommandant la chimioprophylaxie chez les personnes évoluant dans un environnement à risque afin d’éviter qu’elles ne contractent la maladie – pour le profane, la chimioprophylaxie relève, par exemple, de la prise de Malarone contre le paludisme. Un traitement préventif, donc, que l’équipe de la fondation est venue administrer aux habitants d’Agonvé. Mais le projet ne s’arrête pas là. « Pendant trop longtemps, nous avons raisonné de manière verticale, analyse-t-il. Mais ça n’est pas assez efficace : si l’on débarque dans un village en annonçant uniquement un dépistage contre la lèpre, on se heurte à la peur des gens. Ils ne veulent pas venir, par crainte d’être stigmatisés. Il faut donc s’attaquer à l’ensemble des maladies de peau, mais également aux conditions générales d’hygiène et s’adapter à la réalité du terrain. »
UN PROJET INNOVANT EXPÉRIMENTÉ PENDANT TROIS ANS
Si le traitement en chimioprophylaxie est au coeur du projet du village d’Agonvé, il s’accompagne aussi de la création d’infrastructures pour améliorer l’accès à l’eau potable et les conditions de vie de la population. « Sans ça, tout ce qu’on peut prescrire est inutile, tranche Christian Johnson. Si l’on indique à un malade de laver sa plaie tous les jours, par exemple, mais qu’il n’a pas d’eau, ça ne sert à rien. Il est impératif de prendre le problème dans sa globalité si l’on veut en finir avec ces maladies. » Le projet du village d’Agonvé, qui s’étale sur trois ans, est entièrement financé par la Fondation Raoul-Follereau à hauteur de 101 460 euros. Et les résultats de cette expérience devraient participer à guider la suite des actions de la fondation.
A l’heure où ces nouvelles directives de l’OMS et le lancement de la première phase d’essais cliniques d’un vaccin aux Etats-Unis laissent entrevoir une éventuelle victoire de la médecine face à cette maladie venue du fond des âges, la Fondation Raoul-Follereau (qui est l’une des 14 associations spécialisées dans ce domaine dans le monde) enregistre une baisse très nette des dons : 1 million d’euros en 2007 contre 500 000 euros en 2017. Une tendance que tentent d’inverser du 25 au 27 janvier, les 66es Journées mondiales des lépreux, à Paris, avec 15 000 bénévoles mobilisés pour récolter des dons. Et pour créer, peut-être, un futur dans lequel l’humanité ne souffrira plus d’un mal ancestral. ■
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