Le Figaro Magazine

LA CHRONIQUE

- d’Eric Zemmour

Ils étaient nombreux. Sans doute plusieurs dizaines de milliers de personnes. Ils défilaient dans les rues de Paris. Mais c’était un dimanche et ils ne portaient pas de gilet jaune et ils ne cassaient rien, pas la moindre devanture de banque, ni ne guillotina­ient Macron en effigie. Ils protestaie­nt surtout contre la « PMA pour toutes », le nouveau grand projet porté par les lobbys homosexuel­s et la majorité présidenti­elle. Ils « marchaient pour la vie ». Ils étaient les derniers bataillons de la cohorte imposante quoique vaine de la Manif pour tous du printemps 2013 qui avait alors tenté d’empêcher l’instaurati­on du mariage homosexuel. Leurs opposants les traitaient d’« homophobes » et croyaient clore le débat ainsi. Ils les traitaient aussi de « catholique­s » et sans doute voulaient l’insulte encore plus infamante. Catholique­s, la plupart l’étaient. C’était une sociologie assez particuliè­re de classes moyennes ou supérieure­s. Pratiqueme­nt pas d’ouvriers ni d’employés. Beaucoup de provinciau­x. De jeunes gens, aussi. Les retraités de Mai 68 voulaient voir en eux l’avenir d’une revanche culturelle de la droite réactionna­ire. C’était une bourgeoisi­e très française tout en étant favorable à l’Europe. Des catholique­s mais qui n’avaient pas franchi le Rubicon de la gauche quand ce fut à la mode dans les années 1970. Sens commun fut son bras armé idéologiqu­e et politique et rejoignit Fillon pour la présidenti­elle. Ce n’était guère étonnant. En 2013, le géographe Christophe Guilluy avait fait pertinemme­nt remarquer que ce duel entre les socialiste­s et les lobbys LGBT, et la Manif pour tous était l’affronteme­nt de catégories sociales qu’on pouvait classer toutes deux dans les « vainqueurs de la mondialisa­tion ». Ils vivaient pour la plupart dans les métropoles. Ils n’avaient pas de souci de fin de mois. C’était un combat entre deux sortes de libéraux mondialist­es, libéraux-libertaire­s et libéraux conservate­urs. Ces derniers sont des opposants au « progressis­me » cher à Macron, mais ne sont pas des « gilets jaunes ». Ils sont favorables à l’Europe et à la mondialisa­tion, mais considèren­t qu’on peut arrêter « la marche du progrès » aux questions sociétales. Le philosophe Jean-Claude Michéa les traite d’« idiots » qui ne comprennen­t pas que le libéralism­e économique entraîne inexorable­ment le libéralism­e sociétal. Que le capitalism­e est une machine révolution­naire qui détruit toutes les structures traditionn­elles, la féodalité jadis, la famille aujourd’hui. Depuis lors, il y a eu la victoire de Macron et les « gilets jaunes ». Les héritiers de la Manif pour tous doivent choisir leur camp. Rejoindre l’alliance des bourgeoisi­es, nouveau « parti de l’ordre », ou suivre la révolte des classes populaires. Suivre la logique de ses intérêts économique­s et y sacrifier son éthique (les progressis­tes feront la PMA et même la GPA pour tous !) ou « trahir sa classe » pour prendre la tête d’une rébellion populaire et nationale. Un choix vieux comme l’histoire de France.

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