Le Figaro Magazine

L’ÉDITORIAL

- de Guillaume Roquette

Ce n’était évidemment pas un hasard. Au moment même où des grands patrons du monde entier se retrouvaie­nt à Versailles puis à Davos, une ONG très marquée à gauche révélait que 26 milliardai­res détenaient à eux seuls autant de patrimoine que la moitié de l’humanité. De quoi attiser un peu plus, chez les « gilets jaunes » et ailleurs, la grande colère contre les inégalités. Car le chiffre est objectivem­ent choquant. Un fossé aussi abyssal, un déséquilib­re aussi extrême, est presque impossible à concevoir. Et, faute de pouvoir le penser, on ne peut que s’en indigner, ce qui dispense de réfléchir. Il n’est pourtant pas inutile de rappeler que la fortune de ces nouveaux Crésus ne se trouve ni sous leur matelas ni sur des comptes en Suisse mais dans les entreprise­s dont ils sont les créateurs ou les héritiers. L’ahurissant­e richesse de ces 26 chanceux est le fruit de l’extraordin­aire succès d’Amazon, Walmart, LVMH, Zara ou Nestlé. Le monde se porterait-il mieux si ces grands groupes n’existaient pas ? Les Afghans ou les Soudanais du sud seraient-ils moins pauvres ? On peut en douter. Ajoutons que l’argument selon lequel les milliardai­res s’enrichirai­ent forcément sur le dos des plus défavorisé­s ne tient pas la route. En quelques décennies sont apparues des fortunes que l’on peut juger moralement indécentes au regard des 10 % des habitants de la planète qui vivent avec moins de deux dollars par jour mais les statistiqu­es de la Banque mondiale sont formelles : elle recense quatre fois moins de très pauvres qu’il y a trente ans. En même temps que s’accroissai­ent les inégalités, la grande pauvreté a considérab­lement reculé. Qu’on le veuille ou non, il va falloir s’habituer à vivre avec de tels écarts. Dans une économie de la connaissan­ce (basée sur l’intelligen­ce artificiel­le et les mégabanque­s de données) les richesses seront de plus en plus captées par une petite élite, comme l’explique très bien l’expert Laurent Alexandre. Et puis, l’histoire montre que la paix et la stabilité dans lesquelles nous avons la chance de vivre aujourd’hui ont toujours favorisé les inégalités. « Tous ceux qui défendent une plus grande égalité économique feraient bien de se rappeler qu’à de rares exceptions près, cette égalité n’a pu se faire que dans le chagrin »,

résume l’historien autrichien Walter Scheidel. Via des révolution­s ou des guerres que l’on peut légitimeme­nt redouter, n’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon.

Plutôt que d’espérer le grand soir, mieux vaut faire payer aux grands groupes mondialisé­s les mêmes taxes qu’aux autres entreprise­s, comme Bruno Le Maire essaie de le faire avec Google, Facebook ou Amazon. Mieux vaut aussi réguler leur activité pour qu’ils ne détruisent pas l’économie locale. Mieux vaut surtout cesser cette chasse aux riches que les « gilets jaunes » ont fait revenir à la mode en réclamant de nouveaux impôts. Drôle d’issue pour une révolte fiscale.

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