LE THÉÂTRE
Une représentation parfaite du « Faiseur de théâtre » dans une mise en scène de Christophe Perton avec un André Marcon exceptionnel.
On se réjouit du regain de faveur du théâtre de Thomas Bernhard. Aujourd’hui, c’est à la fois le Déjeuner chez Wittgenstein et Le Faiseur de théâtre qui sont à l’affiche. Cette pièce est donnée à l’exquis Théâtre Déjazet dans la mise en scène de Christophe Perton qui nous avait proposé récemment une excellente version de Au But avec la merveilleuse Dominique Valadié. Ce Faiseur est l’une des oeuvres les plus réussies de l’auteur. Son héros, Bruscon, est une figure théâtrale intense et colorée qui incarne parfaitement la pensée de Bernhard, que Person sait explorer avec beaucoup de sensibilité et à qui André Marcon donne vie avec un talent exceptionnel.
Qui est ce Bruscon ? Un comédien qui dirige une troupe familiale composée de sa femme abîmée par le temps et de ses deux enfants, fille et garçon, personnalités charmantes au talent approximatif. Ce vieux cabot, baroque et esbroufeur, mène son équipage en despote. Il développe des caprices extravagants, comme d’exiger que le dénouement du spectacle soit joué dans le noir. Il va justement jouer ce soir, dans un petit village autrichien une comédie qui réunit César, Napoléon, Metternich et Shakespeare. Mais jouera-t-il vraiment ? Car il est usé. Par la vie. Par la colère. Par le théâtre. Il hait le théâtre. Les auteurs. Le mensonge. Les comédiens. Le théâtre, « une perversité plusieurs fois millénaire ». On aura retrouvé à travers ces lignes le Thomas Bernhard que l’on connaît, sa colère, son angoisse, son désordre, son délire, ses sarcasmes douloureux hantés par l’obsession de la mort, son exigence de vérité, son rêve obsessionnel d’absolu de vérité, bref cette souffrance dramatique qui toute sa vie l’aura torturé. Ce Bruscon, sans doute parce que son métier est de « faire » du théâtre, donne à comprendre mieux que lorsque la haine de Bernhard s’adresse à d’autres causes que le théâtre en quoi elle est un artifice tragique qui cache d’infinies possibilités d’amour. Autrement dit, pour écrire Le Faiseur de théâtre, il faut aimer le théâtre. A propos du spectacle qu’il a mis en scène, Christophe Perton écrit ces lignes : « Thomas Bernhard se régale dans cette comédie drolatique à conduire son héros dans l’impasse d’un village du bout du monde. L’heure fatidique de la représentation sonne alors pour Bruscon comme l’apocalypse. Mais la comédie mise en musique par Thomas Bernhard donne à ce chant du cygne des airs d’opérette qui fait vaciller la métaphysique du malheur pour faire joyeusement résonner la voix des philosophes comiques ». Joli texte qui réduit à de singulières proportions la haine proverbiale qu’a inspirée le théâtre à Thomas Bernhard. Le Faiseur de Théâtre, de Thomas Bernhard. Mise en scène de Christophe Perton. Avec André Marcon. Théâtre Déjazet (Paris IIIe).
Une figure intense et colorée