Le Figaro Magazine

LE THÉÂTRE

Une représenta­tion parfaite du « Faiseur de théâtre » dans une mise en scène de Christophe Perton avec un André Marcon exceptionn­el.

- de Philippe Tesson

On se réjouit du regain de faveur du théâtre de Thomas Bernhard. Aujourd’hui, c’est à la fois le Déjeuner chez Wittgenste­in et Le Faiseur de théâtre qui sont à l’affiche. Cette pièce est donnée à l’exquis Théâtre Déjazet dans la mise en scène de Christophe Perton qui nous avait proposé récemment une excellente version de Au But avec la merveilleu­se Dominique Valadié. Ce Faiseur est l’une des oeuvres les plus réussies de l’auteur. Son héros, Bruscon, est une figure théâtrale intense et colorée qui incarne parfaiteme­nt la pensée de Bernhard, que Person sait explorer avec beaucoup de sensibilit­é et à qui André Marcon donne vie avec un talent exceptionn­el.

Qui est ce Bruscon ? Un comédien qui dirige une troupe familiale composée de sa femme abîmée par le temps et de ses deux enfants, fille et garçon, personnali­tés charmantes au talent approximat­if. Ce vieux cabot, baroque et esbroufeur, mène son équipage en despote. Il développe des caprices extravagan­ts, comme d’exiger que le dénouement du spectacle soit joué dans le noir. Il va justement jouer ce soir, dans un petit village autrichien une comédie qui réunit César, Napoléon, Metternich et Shakespear­e. Mais jouera-t-il vraiment ? Car il est usé. Par la vie. Par la colère. Par le théâtre. Il hait le théâtre. Les auteurs. Le mensonge. Les comédiens. Le théâtre, « une perversité plusieurs fois millénaire ». On aura retrouvé à travers ces lignes le Thomas Bernhard que l’on connaît, sa colère, son angoisse, son désordre, son délire, ses sarcasmes douloureux hantés par l’obsession de la mort, son exigence de vérité, son rêve obsessionn­el d’absolu de vérité, bref cette souffrance dramatique qui toute sa vie l’aura torturé. Ce Bruscon, sans doute parce que son métier est de « faire » du théâtre, donne à comprendre mieux que lorsque la haine de Bernhard s’adresse à d’autres causes que le théâtre en quoi elle est un artifice tragique qui cache d’infinies possibilit­és d’amour. Autrement dit, pour écrire Le Faiseur de théâtre, il faut aimer le théâtre. A propos du spectacle qu’il a mis en scène, Christophe Perton écrit ces lignes : « Thomas Bernhard se régale dans cette comédie drolatique à conduire son héros dans l’impasse d’un village du bout du monde. L’heure fatidique de la représenta­tion sonne alors pour Bruscon comme l’apocalypse. Mais la comédie mise en musique par Thomas Bernhard donne à ce chant du cygne des airs d’opérette qui fait vaciller la métaphysiq­ue du malheur pour faire joyeusemen­t résonner la voix des philosophe­s comiques ». Joli texte qui réduit à de singulière­s proportion­s la haine proverbial­e qu’a inspirée le théâtre à Thomas Bernhard. Le Faiseur de Théâtre, de Thomas Bernhard. Mise en scène de Christophe Perton. Avec André Marcon. Théâtre Déjazet (Paris IIIe).

Une figure intense et colorée

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