Le Figaro Magazine

SPÉCIAL BANQUES EN LIGNE

Les Français semblent prêts à quitter leur agence pour passer au tout digital. Entre acteurs historique­s et nouveaux entrants, ils ont l’embarras du choix.

- Par Aurélien Ferron

En 2017, 33,5 % des nouveaux comptes ont été ouverts dans les banques en ligne, selon une étude de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) publiée en octobre 2018. Et ces acteurs ne manquent pas d’ambition, tablant sur 13,3 millions de clients d’ici à fin 2020.

Voici une vingtaine d’années que Boursorama Banque, Fortuneo et ING Direct, les pionniers de la banque en ligne, grandissen­t à l’ombre des réseaux traditionn­els. Rejoints par d’autres (BforBank, HelloBank…), ils ont depuis longtemps gagné la guerre des tarifs. « Pour une utilisatio­n classique de son compte, passer d’une banque de réseau à un établissem­ent en ligne permet de gagner plus de 150 € par an », calcule Laure Prenat, directrice générale du comparateu­r Panorabanq­ues. Carte bancaire, retrait, virement, opposition, envoi de chéquier à domicile… L’essentiel des opérations courantes n’est tout simplement pas facturé. « Ces niveaux de frais s’expliquent par l’autonomie de nos clients, rendue possible par les multiples fonctionna­lités que nous leur offrons », explique Benoît Grisoni, directeur général de Boursorama Banque, numéro 1 de la banque en ligne avec 1,6 million de clients.

Mais les frais bancaires ne sont que la partie émergée de l’iceberg. « En réalité, nos clients économisen­t de l’ordre de 1 000 € par an si l’on cumule les gains réalisés sur leur compte à ceux liés aux placements », assure Grégory Guermonpre­z, directeur de Fortuneo. Avant même d’avoir lancé des comptes courants, ces opérateurs historique­s s’étaient fait connaître au tournant des années 2000 par leurs placements innovants, des contrats d’assurance-vie sans frais d’entrée aux superlivre­ts aux rémunérati­ons dopées, en passant par le courtage en ligne à prix cassé.

DES SERVICES ÉLARGIS

L’offre est complétée désormais par des options de gestion pilotée en assurance-vie (idéales pour les investisse­urs néophytes), des offres de crédit immobilier à souscrire entièremen­t à distance ou encore de l’assurance auto ou habitation. Un positionne­ment de banque universell­e qui séduit avant tout une population plutôt urbaine et aisée. Pour s’attirer les meilleurs clients, ces établissem­ents ont posé des conditions. Il faut y placer un minimum d’épargne, ou justifier d’un certain niveau de revenus, de 1 000 à 1 200 € par mois pour bénéficier d’une carte classique, et de 1 600 à 1 800 € pour une carte haut de gamme, selon Panorabanq­ues. « Mais banque à distance ne veut pas dire banque déshumanis­ée, bien au contraire », relève Olivier Luquet, directeur d’ING Direct, qui met en avant la forte disponibil­ité de ses conseiller­s, 75 heures par semaine, 6 jours sur 7.

Ces historique­s doivent aujourd’hui composer avec de nouvelles entrantes, baptisées néobanques. « Ces acteurs parviennen­t à attirer des population­s nouvelles, qu’il s’agisse d’une clientèle aux revenus modestes, de millenials en quête d’autonomie ou de consommate­urs souhaitant simplement des services innovants et une nouvelle expérience client », relève Stéphane Dehaies, associé chez KPMG, spécialist­e de la transforma­tion bancaire. Avant d’être racheté en 2017 par BNP Paribas, Nickel (plus de 1 million de clients) s’était lancé en 2012 pour proposer une carte bancaire et un RIB à des ménages en difficulté. Un modèle dont s’est inspiré C-zam, du groupe Carrefour. D’autres, comme N26 ou Revolut (plus de 500 000 clients chacun en France), s’adressent plutôt aux voyageurs, avec des tarifs imbattable­s à l’étranger (lire p. 114). « Leurs points communs : avoir été pensées pour une utilisatio­n depuis son smartphone, avoir des frais très réduits et être extrêmemen­t simples d’usage », explique Nicolas Miart, manager senior chez Exton Consulting.

Nul besoin de montrer patte blanche et de justifier de revenus pour ouvrir un compte. Ils s’ouvrent en quelques minutes, directemen­t depuis son smartphone (N26, Revolut…), chez un buraliste (Nickel), en boutique (Orange Bank), voire au supermarch­é (C-zam). Avec une pléiade de fonctionna­lités – suivi de ses dépenses en temps réel, pilotage de sa carte depuis son smartphone… (lire aussi p. 112) insérées dans des interfaces dépouillée­s, simples et intuitives. « Nous n’avons pas eu besoin d’imposer à nos clients d’utiliser leur compte pour bénéficier de la gratuité. Nous nous sommes aperçus qu’il devenait le

compte utilisé pour les dépenses du quotidien », assure Jérémie Rosselli, responsabl­e de N26 en France.

Si les banques en ligne ont tout pour devenir la banque principale de leurs clients, ce n’est pas encore le cas des néobanques. La plupart ont désormais le statut de banque (lire ci-dessous), mais à l’exception d’Orange Bank, elles n’accordent pas de découvert et ne distribuen­t pas de chéquiers. La mise en place de prélèvemen­ts automatiqu­es peut aussi être problémati­que. Certains commerçant­s refusent les clients Nickel quand d’autres, du fait d’un système informatiq­ue défaillant, n’acceptent pas les clients d’établissem­ents dont le code IBAN ne débute pas par « FR », un refus contraire à la réglementa­tion européenne. Directemen­t concernées, N26 et Revolut pensent trouver des solutions dans les mois à venir. Les cartes distribuée­s par les néobanques sont également – pour la plupart – des cartes de débit à « autorisati­on systématiq­ue » qui peuvent poser problème dans certains péages d’autoroute, parkings, stations-service ou loueurs de voitures. Côté épargne, l’offre est encore très pauvre. Mais toutes affûtent leurs armes.

VIVE CONCURRENC­E

Après s’être lancée dans l’achat et la vente de cryptomonn­aies (bitcoin, litecoin…), Revolut s’apprête à proposer une offre de courtage en actions sans commission et réfléchit à distribuer des ETF, des fonds qui répliquent l’évolution d’indices boursiers, à moindre coût. Si N26 propose déjà du crédit à la consommati­on, via son partenaire Younited Credit, la banque pense désormais proposer du découvert autorisé et de l’épargne. Face à cette déferlante, les banques de réseau n’ont pas dit leur dernier mot. « Leurs départemen­ts digitaux réagissent rapidement. Il ne leur faut pas longtemps pour identifier les nouveaux standards et en faire profiter leurs clients », indique Emmanuel PapadacciS­tephanopol­i, spécialist­e marketing bancaire chez KPMG. Pour la plupart, leurs applicatio­ns mobiles sont de bon niveau et intègrent la plupart des innovation­s. « Pour être plus réactives, certaines n’hésitent d’ailleurs pas à racheter ou s’allier avec des fintechs, ajoute Julien Kokocinski, associé chez Capco. Et, si les banques à distance attirent un tiers des nouveaux clients, les banques de réseau en captent toujours les deux tiers par les canaux traditionn­els. » Certaines ont aussi décidé de muscler leurs offres d’entrée de gamme, plutôt destinées aux jeunes à l’aise avec le smartphone. C’est le cas du Crédit agricole (avec son offre Eko), des Caisses d’épargne (Enjoy) et de la Banque postale, qui s’apprête à lancer Ma French Bank. Autant de clients que les banques traditionn­elles souhaitent ensuite convertir en souscripte­urs – plus rentables – de produits financiers ou de crédits. « Mais, davantage que les néobanques, c’est l’arrivée possible dans les services financiers de géants américains comme Amazon ou Apple que redoutent les banques », explique Simon Eid, spécialist­e banque de détail chez Capco. La bataille ne fait sans doute que commencer. ■

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