Le Figaro Magazine

L’EUROPE INDÉFINIE

- Paulin Césari

Certaines choses doivent être sauvées, nul doute. Encore faut-il les définir, en montrer l’existence, légitimer leur salut. A ces questions, le manifeste des patriotes européens initié par Bernard-Henri Lévy ne répond pas. Intitulé « Il y a le feu à la maison Europe », ce texte est un appel à sauver l’Europe des

« incendiair­es » dont la parole est portée par « des mauvais prophètes ivres de ressentime­nt ». Si les forces du Mal sont définies – « l’âme des nations », « l’identité perdue » –, celle du Bien dont l’Europe est le nom, ne l’est pas. Les termes « Europe » et « Européens » présents à chaque paragraphe ne sont jamais expliqués. Aucune essence n’en est exhibée. L’Europe serait-elle une réalité si prégnante que nous en ferions tous l’expérience indubitabl­e et salutaire qui nous dispensera­it d’en donner un concept ? Mais l’existence même du manifeste prouve le contraire ! Alors, de quoi parle-t-on ? De l’obscur objet d’un désir informulab­le ? D’un totem à révérer aveuglémen­t ? D’un Erasmus transcenda­ntal ? D’un simple flatus vocis – autant dire rien.

Dans tous les cas, le manifeste a l’allure d’un sophisme dans lequel on présuppose ce que l’on veut démontrer. Lorsque les signataire­s de l’appel, se souvenant de Schopenhau­er, écrivent que « l’Europe comme idée, comme volonté et représenta­tion, est en train de se défaire », ils parlent pour ne rien dire si ce n’est pour dire le rien.

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