LES CLÉS POUR COMPRENDRE
La démission brutale du président de l’institution internationale a révélé la baisse de son influence. Une tendance accentuée par l’hostilité de Donald Trump et l’irruption de la Chine comme puissance planétaire.
1 UNE INSTITUTION USÉE
Née, comme le Fonds monétaire international, sur les cendres de la Seconde Guerre mondiale, la Banque mondiale a été créée pour prêter de l’argent à des Etats dotés d’une économie trop faible pour se financer sur le marché des capitaux – la France de la Libération en reçut le tout premier prêt. Les Etats-Unis, en tant que principal actionnaire, ont toujours imposé un Américain à la présidence de la Banque depuis sa création. Mais cet ordre financier international, issu de la conférence de Bretton Woods en 1944, reflète les forces en présence à la fin de la guerre, une architecture dessinée par les vainqueurs et qui ne donnait pas voix au chapitre à une grande partie de la planète. Sept décennies plus tard, le monde a changé : la Chine est devenue un géant industriel sur le point de dépasser les Etats-Unis, des économies émergentes sont apparues sur d’autres continents et la prédominance occidentale dans le règlement des affaires financières du monde tend à disparaître. Sans oublier les changements profonds du secteur et des échanges bancaires internationaux qui permettent à beaucoup de gouvernements de s’endetter autrement. Avec ses Etats actionnaires et ses lourdes procédures, la Banque mondiale a de plus en plus de difficultés face aux défis d’aujourd’hui.
2 LES ÉTATS-UNIS, ACTIONNAIRES DÉSABUSÉS
La démission surprise de Jim Yong Kim, le 7 janvier dernier, arrive comme un symbole. Quand, en 2012, Barack Obama avait choisi ce médecin américain né en Corée pour diriger la Banque mondiale, il avait insisté sur son expérience dans l’action humanitaire, notamment en faveur de la santé en Haïti. Quand il a claqué la porte trois ans avant la fin de son mandat, Jim Yong Kim a expliqué qu’il rejoignait un fonds d’investissement spécialisé dans les infrastructures parce qu’il aurait « davantage d’impact sur la lutte contre le changement climatique et le manque d’équipements dans les pays émergents ».
Cruel aveu pour la Banque mondiale. Son départ a ouvert un boulevard à Donald Trump, qui répète à l’envi son hostilité aux institutions multilatérales, pour placer à la tête de la Banque une personnalité qui partage ses convictions. Après avoir envisagé d’y envoyer sa fille Ivanka, il aurait porté son choix – pas encore définitif – sur David Malpass, fonctionnaire chargé des Affaires internationales au Trésor américain. Celui-ci a multiplié les critiques sur le multilatéralisme et la mondialisation, positions qui ne plairont pas aux autres Etats actionnaires. Mais Washington a toujours imposé son candidat.
3 L’ESSOR DES PRÊTS CHINOIS
Avec 16 milliards de dollars reçus en 2018, le continent africain est le principal bénéficiaire des prêts de la Banque mondiale, devant l’Asie et l’Amérique latine. Or, ils sont assortis de conditions souvent contraignantes liées à la bonne gouvernance, l’éducation, les conditions sanitaires ou la protection de l’environnement. Mais aujourd’hui, les Etats africains peuvent se tourner vers un autre prêteur : la Chine. Depuis plus d’une dizaine d’années, le colosse asiatique multiplie les projets économiques. Et l’Afrique constitue un des terrains majeurs de cet essor. L’American Enterprise Institute – un think tank de Washington – estime à près de 300 milliards de dollars le montant des prêts consentis à l’Afrique subsaharienne par des institutions chinoises depuis 2005. Beaucoup moins regardante que la Banque mondiale, la Chine finance et réalise de grands équipements (un tramway à Addis-Abeba, la ligne de chemin de fer entre Nairobi et Mombasa, un nouveau port à Djibouti) dans de nombreux Etats africains. Et, en cas de nonremboursement, Pékin compte sur les ressources des pays en question – matières premières minières ou agricoles – pour recouvrer sa créance. Des pratiques très éloignées de celles de la Banque mondiale.