Extraits exclusifs
Benjamin Rhodes a été le conseiller diplomatique de Barack Obama au cours de ses deux mandats à la tête des Etats-Unis. Nous publions des extraits exclusifs de son livre qui révèle les coulisses de sa politique étrangère, de la mort de Ben Laden à la brouille avec Israël, en passant par la crise syrienne et les dessous de l’accord avec l’Iran.
“Avoir ou ne pas avoir « des couilles ». « Nous avions commencé par expliquer qu’il fallait envoyer davantage de troupes en Afghanistan ; or il était évident, au terme de nos travaux, que cela ne marcherait pas. – Nous n’allons pas vaincre les talibans, avait l’habitude de dire Obama. Il nous faut simplement les mettre K.-O., afin de pouvoir ensuite nous retourner contre alQaida.
Pendant que se poursuivait vaille que vaille ce travail d’évaluation, ses adversaires ne se contentèrent pas de réclamer l’envoi de renforts, ils reprochèrent carrément à Obama de se montrer pusillanime. Il avait été ulcéré par un article du New York
Times qui expliquait que ce n’était pas tant ses décisions politiques que l’on trouvait inquiétantes que son manque de détermination. “La réunion la plus importante n’est pas celle qui l’amène à discuter avec les chefs d’état-major des trois armées et les membres du Cabinet, mais celle qu’il a avec lui-même quand il se regarde dans la glace”, disait l’article. – Pourquoi, dès que cela vient sur le tapis, on se demande aussitôt si j’ai des couilles ? s’insurgea Obama devant ses collaborateurs dans le Bureau ovale. »
Quand Obama lâcha Hosni Moubarak. « Obama venait de débarquer quand Moubarak, justement, prononça une allocution télévisée. On interrompit la réunion pour regarder les écrans accrochés aux murs. […] Moubarak expliqua qu’il ne solliciterait pas de nouveau mandat présidentiel. En revanche, il tenait absolument à finir celui qui était en cours, et dit aux Egyptiens qu’il leur faudrait désormais choisir entre le chaos et la stabilité. Obama prit la parole.
– Ce n’est pas cela qui va régler le
problème, déclara-t-il. Je ne vois pas les manifestants rentrer chez eux. Pour couper court aux discussions, il annonça qu’il allait appeler Moubarak pour lui expliquer qu’à son avis il lui fallait quitter le pouvoir.
“Je vous le dis avec tout le respect que je vous dois, reprit Obama. Je suis très fier d’être votre ami, mais je suis persuadé que le calme ne peut pas revenir dans votre pays si vous restez au pouvoir et si la phase de transition se prolonge indéfiniment. Je pense qu’il est temps de faire connaître aux Egyptiens leur nouveau gouvernement.” Moubarak lui répondit qu’il ne comprenait rien à la culture égyptienne. Il déclara haut et fort que l’Egypte n’était pas la Tunisie, et que tout allait bientôt rentrer dans l’ordre. […] L’entretien tirait à sa fin. Obama ne se donnait plus la peine de regarder ses notes.
– Monsieur le Président, dit-il en se penchant en avant, un coude posé
sur le bureau, j’ai toujours éprouvé de la considération pour mes aînés. Et vous faites de la politique depuis bien plus longtemps que moi. L’Histoire traverse des phases, et ce n’est pas parce que cela s’est toujours passé comme cela qu’il en sera forcément toujours ainsi.
Il raccrocha, nous regarda et haussa les épaules, comme pour nous signifier qu’ils n’étaient pas sur la même longueur d’onde. Ce fut la dernière fois qu’ils se parlèrent. »
Mars 2011. Autoriser la guerre contre la Libye.
« On n’imaginait pas vraiment déclarer la guerre à la Libye dans une ville comme Brasília. Pendant qu’Obama s’entretenait avec Dilma Rousseff, la présidente brésilienne qui appartenait jadis à une faction de guérilleros marxistes, j’étais au travail dans une salle du palais présidentiel. Nous nous attendions à ce que les opérations militaires débutent le lendemain. L’ennui c’est qu’au même moment Sarkozy était en train de donner à Paris une conférence de presse consacrée à la Libye. Les troupes de Kadhafi poursuivant leur avancée vers Benghazi, il en profita pour demander que l’on intervienne sans délai, ce qui supposait de détruire au préalable les défenses antiaériennes du pays. […] Pendant qu’Obama mettait fin à son entretien avec Dilma Rousseff, nous avons demandé aux membres influents du Conseil de sécurité nationale de se tenir prêts à lui parler au téléphone.
On établit donc la communication avec Washington, il écouta attentivement ce qu’on lui disait. Les militaires avaient désormais achevé leurs préparatifs, ils n’attendaient plus que l’ordre d’entrer en action. – Je vous y autorise, déclara-t-il avec solennité.
Le Brésil se targue de ne pas se mêler des affaires des autres pays et d’avoir une politique non interventionniste. C’était sans doute la première fois qu’un chef d’Etat étranger déclenchait une guerre depuis son bureau… La Syrie vient d’employer des armes chimiques contre des populations civiles. Obama hésite à déclencher une frappe aérienne. Il appelle Angela Merkel.
« Assis sur le canapé, je le regardai plaider sa cause et attendre la réponse d’Angela Merkel. Je n’ai pas envie, lui dit-elle en substance, de vous voir vous embringuer dans une situation impossible […] Obama raccrocha et vint nous voir. Pour la première fois, je l’ai vu hésiter à intervenir en Syrie. Il nous demanda carrément quand, à notre avis, nous devrions passer à l’action […] Quelque temps plus tard John Kerry expliqua une dernière fois pourquoi nous ne pouvions pas laisser Bachar el-Assad s’en tirer impunément. – Mes amis, tonna-t-il, il serait très grave pour nous de rester passifs. Il serait très grave que s’exprime une réprobation internationale qui ne soit pas alors suivie d’effet.
[On apprend que les Britanniques ont voté contre une intervention. Obama reporte à nouveau le moment d’intervenir. Finalement, il convoque son cabinet]
– J’ai une idée de génie, me dit-il. – Cela ne m’étonne pas de vous, répondis-je.
Dans certains cas, plus la situation était grave, plus je prenais de libertés avec lui. Obama nous annonça alors qu’il avait décidé de demander l’aval du Congrès avant de lancer des frappes contre la Syrie. Il nous expliqua notamment que le Président ne pouvait pas, à lui seul, obliger notre pays à être en permanence sur le pied de guerre et enchaîner les conflits. […] – Il est trop facile, pour un président américain, de déclencher la guerre…
Susan Rice expliqua de façon prémonitoire que le Congrès n’autoriserait jamais Obama à s’engager dans cette voie. En s’en remettant à lui, conclut-elle, il renonçait à nombre de ses prérogatives de président, et du même coup de commandant en chef. Des années après, alors que pratiquement tous ceux qui avaient été impliqués dans cette histoire essayaient de se dédouaner en déclarant qu’Obama aurait dû bombarder la Syrie sans tenir compte du Congrès, elle fut la seule à s’inscrire en faux contre cette idée.
[Le Congrès est hostile, et aucune intervention en vue. Ben Rhodes désapprouve cet attentisme.]
“ON A TROP FAIT LA GUERRE CES DERNIÈRES ANNÉES” Obama à son staff sur la crise syrienne
« Vous auriez quand même pu prendre des mesures, sans aller jusqu’à envoyer des troupes.
– Lesquelles, par exemple ?
– Eh bien, brouiller les signaux radio qui appelaient à la violence. Il écarta cette idée du revers de la main.
– Faut pas rêver. On ne peut pas d’un coup de baguette magique empêcher les gens de se massacrer. » Le Congrès n’eut jamais à se prononcer lors d’un vote. [Le Président expliqua] qu’on allait évacuer de Syrie des milliers de tonnes d’armes chimiques, puis les détruire, qu’on serait parvenu à un résultat bien plus modeste si nous avions lancé des frappes. Cela étant, la Syrie continuerait à être en proie à la guerre. Et Barack Obama veillerait à ce que les Etats-Unis ne s’en mêlent pas… Faut-il parler d’islam radical ?
« On ne cessait de nous demander dans les médias pourquoi nous refusions d’employer ce langage. En février, nous avons organisé à la Maison-Blanche un sommet consacré à la lutte contre l’extrémisme réunissant des spécialistes et des dirigeants de diverses communautés (essentiellement musulmanes) au sein desquelles il existait un risque de radicalisation. Le fait que le mot « islamique » n’ait pas figuré dans l’intitulé de ce groupe de travail a relancé la polémique dans la presse, si bien qu’Obama m’a convoqué dans son bureau.
– Dis donc, me lança-t-il, je ne m’étais pas rendu compte que nous étions devenus aussi politiquement corrects quand il s’agit de l’extrémisme islamique. Je croyais que c’étaient simplement là des conneries de Fox News.
– Je crois que c’est l’expression « islam radical » qui me dérange, répondis-je. Cela laisse entendre…
– Que l’islam est toujours radical, dit-il en hochant la tête. Je comprends. Mais cela ne me gêne pas d’affirmer que justement cette idéologie est source de problèmes dans le monde islamique. »
Ben Rhodes annonce au Président la décapitation de James Foley.
« Je suis assis dans l’avion, mon portable collé à l’oreille ; puis l’appareil a pris de l’altitude et je l’ai entendue sans problème. Susan [Rice, secrétaire nationale à la sécurité intérieure] avait l’air bouleversée. – Daech vient de poster une vidéo sur Jim Foley.
– Une vidéo ?
OBAMA : “NOUS SOMMES DEVENUS POLITIQUEMENT CORRECTS”
– Oui, sur YouTube. Je suis en train de la regarder. Jim est à genoux, revêtu d’une combinaison orange. Elle m’expliqua que le geôlier de Jim Foley avait “un petit couteau” à la main. Elle se tut.
– Oh là là ! Oh là là !
Sa voix se brisa, elle fondit en larmes. Moi je restai là, à contempler la cloison beige qui se trouvait en face.
– Ils l’ont décapité ?
– Oui.
– Je vais prévenir Obama.
Je suis entré dans son espace de travail, à l’avant de l’appareil. Il était assis à son bureau, tandis que sa fille Malia lisait sur le canapé. Je me suis penché vers lui, rien qu’à voir ma tête il s’alarma. Il demanda à Malia de nous laisser seuls un instant.
– Ils ont posté une vidéo, lui dis-je. – Sur Foley ?
– Oui. Ils l’ont décapité… En réponse aux bombardements, ajoutai-je après un temps d’hésitation. Ils ont expliqué qu’ils adressaient ainsi un message à l’Amérique et à son président. Obama ne moufta pas.
– Jim Foley, le journaliste ? Pour Obama, c’était davantage son métier qui définissait cet homme que sa fin tragique.
– Oui. Le correspondant de presse capturé en 2012.
– Il faudrait que j’appelle sa famille. Et puis que je fasse une déclaration officielle. […] Va-t-on essayer de faire retirer cette vidéo de la circulation ? me demanda Obama.
– Oui. Les médias ne devraient pas y voir d’objection. Mais les autres vont trouver la parade.
Il s’en fut retrouver Malia.