Pablo Heras-Casado
Le grand chef espagnol vient infuser une énergie nouvelle au « Requiem » de Berlioz. Retour sur l’itinéraire d’un artiste généreux.
Sous le cimier de ses boucles drues, sourire éclatant et oeil bleu pâle qui donne de la douceur à cette silhouette énergique, à ce verbe précipité, Pablo Heras-Casado est là, et bien là. Le chef quadragénaire dont Boulez fut le maître à Lucerne, a l’art de se rendre disponible…. Le monde s’arrache pourtant la fulgurance de sa direction, sa vigueur rythmique, sa rigueur aussi. Et apprécie sa curiosité pour tous les langages : qu’il dirige Buxtehude, Mendelssohn ou Zimmermann, Heras-Casado n’aime rien tant que parcourir la sphère sonore dans sa multiplicité, reflet d’un patrimoine musical européen qu’il défend avec autant d’ardeur que son identité espagnole. On le quitte enfoui dans L’Or du Rhin, première Journée de l’Anneau du Nibelung wagnérien, qu’il vient de diriger au Teatro Real de Madrid. On le retrouvera bientôt à Paris déchaînant les monumentales envolées du Requiem de notre panthéonisable Berlioz, dont on fête le cent cinquantenaire de la mort. De Berlioz, il vante la formidable démarche expérimentale, dont il retrouve trace dans la musique française, de Lully et Rameau à Debussy et Ravel : « J’adore cette esthétique subtile qui se retrouve aussi bien dans la façon de vivre des gens que dans la culture du son. Une manière très sophistiquée, très sensuelle, de jouer des modes et des couleurs orchestrales. Un répertoire difficile sur lequel achoppent bien des publics et des grandes formations, car rien n’y est aussi fluide et naturel que cela en a l’air. Il faut être très fidèle au texte pour en faire ressentir l’ambiguïté. » Sa vie musicale de jeune Grenadin n’a été que coups de passions, enfourchées avec voracité. « L’entrée en musique, c’est moi qui l’ai vraiment voulue, et mes parents m’y ont aidé. J’étais imprégné par les défilés de la Semaine sainte, où tant d’éléments dramatiques et musicaux se mêlaient pour évoquer les mystères médiévaux. Ces séquences résonnent toujours dans ma tête, comme le flamenco que je soutiens grâce à une ancienne association dans l’Albaicín. Une culture de rue qui me porte encore. »
S’ensuit le chant choral, où il découvre le baroque espagnol et sa complexité polyphonique et pour lequel il se battra inlassablement, recherchant des pépites méconnues. Puis vient le choc Wagner : « En pleine aventure baroque, je suis allé à Bayreuth, un univers auquel mon expérience espagnole ne m’avait guère préparé, et j’ai été fasciné. Du coup, j’ai cherché, visité ses mondes, dévoré ses écrits. Je voulais tout savoir pour mieux pénétrer les secrets de cette théâtralité, de cette tension dynamique dans la musique. Un art total qui est pour moi comme un aboutissement. »…
Toujours, chez ce moderne qui le revendique, on retrouve le désir d’étayer la passion par la connaissance, de remonter le fil des créations dans leur temps pour mieux les projeter dans le nôtre. L’heure n’est plus des divins maestros qui dirigeaient yeux fermés de leur Olympe. Fils d’un Gergiev, d’un Rattle, Heras-Casado est frère d’armes d’une génération qui monte au pupitre comme sur une moto, les Dudamel et Nézet-Séguin, diffusant la musique auprès d’un public autre que celui des salles fréquentées par des esprits dits éclairés. Sa direction, qui fait rebondir les notes comme un jongleur, électrise les orchestres. Et surtout, il aime créer en équipe, façonner la chose artistique à plusieurs, car
« rien ne tombe du ciel ». Heureusement il sait aussi s’arrêter :
« Je suis passionné d’architecture, de peinture, de théâtre, de poésie. Chez nous, à Grenade, on développe dès l’enfance un sens esthétique très fort, on voit les montagnes enneigées depuis ma maison, on respire des odeurs envoûtantes. Là-bas sont mes arbres, ma famille. » Un point faible dans ce parcours heureux ? « Je crois que je suis trop à l’écoute. » Le comble pour un musicien !
Requiem, de Berlioz, et Musique funèbre, de Lutoslawski, avec l’Orchestre de Paris, l’Orchestre du Conservatoire de Paris, le Choeur de l’Orchestre de Paris et l’Orfeón Donostiarra, les 20 et 21 février à la Philharmonie de Paris.