Le Figaro Magazine

et l’apostrophe de J.-Ch. Buisson

Revisitant le règne chaotique d’Anne d’Angleterre, entourée de deux favorites se disputant ses faveurs, Yorgos Lanthimos propose une délicieuse farce historique.

- L’APOSTROPHE DE JEAN-CHRISTOPHE BUISSON

CHÈRES FÉMINISTES, n’allez pas voir La Favorite. Non seulement c’est un film loufoque, audacieux, divertissa­nt, décomplexé (tout ce que vous n’êtes que modérément, étant rongées par l’esprit de sérieux et de lutte permanente), mais il vous désespérer­a. Ici, désolé, pas de mâle dominant à dénoncer ni de victime d’un pouvoir forcément phallocrat­e et misogyne : à la cour anglaise de la reine Anne, dernière des Stuart ayant régné au début du XVIIIe siècle, ce sont les femmes qui dirigent le pays (y compris dans la guerre à la France). Mieux (ou pire, c’est selon) : la souveraine, quoique épaisse, moche et malade, partage son coeur, ses idées et son lit entre deux favorites (une servante désireuse de retrouver son statut aristocrat­ique perdu et Lady Sarah Churchill, duchesse de Marlboroug­h) qui ne lésinent pas sur les armes les plus viriles pour s’attirer ses royales faveurs. Et ellemême traite les hommes – qu’ils soient ministres, valets ou courtisans – comme des serpillièr­es.

Il est vrai que cette Queen-là est assez givrée. Non contente d’élever dans sa chambre 17 lapins (qui remplacent les 17 foetus et bébés qu’elle a perdus), elle organise dans les salles de son château des courses de homards ou de palmipèdes (filmés au ralenti !), se maquille comme un blaireau, s’affole à l’idée de zozoter en parlant, s’évanouit sur commande quand elle ne sait pas quoi dire, se fait mettre des steaks sur la jambe quand elle souffre de crises de goutte et dit plus de gros mots en deux heures qu’un régiment de marsouins en goguette durant une nuit entière.

On le voit, Yorgos Lanthimos, déjà réalisateu­r du délirant

The Lobster (encore du homard…), ne se refuse rien pour faire rire son prochain (et sa prochaine). Dans cette perspectiv­e, le trio en jupes qu’il a choisi pour sa farcefable est à la hauteur de son ambition : Olivia Colman, Rachel Weisz et Emma Stone jouent formidable­ment le jeu, donnant à la cour britanniqu­e tour à tour des airs de fête foraine, de cour des Miracles, de ring de catch, d’asile psychiatri­que et de jardin d’enfants capricieux. Les dialogues sont à l’avenant, souvent hilarants :

« Voulez-vous me séduire ou me violer ? – Je suis un gentleman, madame ! – Me violer, donc… » Ou encore : « Je ne comprends rien aux femmes ; elles bercent leurs souffrance­s comme des nouveau-nés. » Quand on vous dit que ce film n’est pas fait pour les féministes.

Post-apostrophu­m : message du film sans doute destiné à Alexandre Benalla : « Avoir le vent en poupe, c’est bien, mais le vent tourne. »

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