Le Figaro Magazine

et le livre de Frédéric Beigbeder

Cette semaine, des jolies filles kidnappent des grands crus classés dans un roman à boire cul sec.

- LE LIVRE DE FRÉDÉRIC BEIGBEDER

Céline Minard se prend-elle pour Stanley Kubrick ? Le grand cinéaste américain a réalisé un film policier (L’Ultime Razzia), un film de science-fiction (2001), un film historique (Barry Lyndon), un film de guerre (Full Metal Jacket), un film d’horreur (Shining), un film de cul (Eyes Wide Shut)… Il voulait explorer chaque genre pour ne jamais se répéter. Céline Minard semble avoir le même éclectisme, sinon la même ambition. Elle a déjà publié un roman de science-fiction (Le Dernier Monde, 2007), un récit de chevalerie (Bastard Battle, 2008), un western (Faillir être flingué, prix du livre Inter en 2014) et un roman survivalis­te (Le Grand Jeu, 2016). A chaque fois elle essaie de renouveler le roman de genre en y mêlant son ironie, à la manière d’un Jean Echenoz. Céline Minard refuse de raconter sa vie, elle se bat pour une cause qui paraissait perdue : l’imaginatio­n. Son nouveau roman, Bacchantes, n’en manque pas : trois braqueuses prennent en otage une cave à vins de 350 millions de dollars dans la baie de Hongkong. C’est La Casa de papel version oenologie. La casa de pinard ? Les trois cambrioleu­ses – la Brune, la Clown et la Bombe – jouent au bowling en remplaçant les quilles par des flacons inestimabl­es, font chanter le propriétai­re de la cave qui finit par les rejoindre dans le bunker, tout nu, en direct devant les caméras de CNN. On est loin d’Annie Ernaux. Céline Minard s’amuse avec cette situation hautement symbolique : sa parodie haletante de hold-up féminin à la Ocean’s 8 lui permet au passage de dénoncer l’absurdité de notre monde de spéculatio­n (elle aurait tout aussi bien pu imaginer un braquage de caniches gonflables de Jeff Koons à la Galerie Gagosian). Le vin atteint des prix ridicules qui obligent à le stocker dans des coffres-forts au lieu de le boire. Le moment où les voleuses se saoulent avec des nectars est une irruption d’humanité et de terroir dans un environnem­ent climatisé et technologi­que. Si Lautréamon­t définissai­t la beauté comme « la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie », il convient désormais de retenir l’axiome de Minard : la beauté au XXIe siècle, c’est la rencontre soudaine d’une bouteille de romanée-conti 1969 et d’un escarpin à talon aiguille Jimmy Choo dans une cave à vins hautement sécurisée de Hongkong. La poésie aujourd’hui devrait être un mélange de rayons lasers et d’ivresse, de luxe et de transgress­ion, de glamour et de mauvais esprit.

Bacchantes, de Céline Minard, Rivages, 106 p., 13,50 €.

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