Les enfants des « gilets jaunes »
« Les Invisibles de la République » (Robert Laffont) ont été écrits avant la crise des « gilets jaunes », mais permettent d’en comprendre certains ressorts en se penchant sur le destin de la jeunesse des campagnes et des petites villes.
En marche ! », c’est le nom du mouvement d’Emmanuel Macron, mais aussi le coeur même de sa philosophie politique : encourager la mobilité pour échapper aux déterminismes sociaux. C’est pourquoi, «à l’horizon 2024, la moitié d’une classe d’âge devra avoir passé au moins six mois dans un autre pays que le sien », a annoncé le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer. La mobilité internationale est un objectif louable, mais la mobilité à l’intérieur même du pays ne devrait-elle pas être un préalable ?
Ils s’appellent Gaëlle, Charlotte ou Julien. Ils ignorent tout des dispositifs Erasmus. Et vivent loin des grandes métropoles, dans un village de l’Allier, à Cerbère, sur la Côte Vermeille, ou à Neufchâteau, dans les Vosges. Gaëlle ne s’est rendue pour la première fois de sa vie au cinéma qu’à l’âge de 12 ans parce que la salle la plus proche est à quarantecinq minutes de route. Comme un jeune rural sur deux, elle parcourt près de 20 kilomètres par jour pour aller au collège. Charlotte, bonne élève, rêve de médecine. Mais la faculté se trouve à Montpellier, à deux heures trente de train. Julien, lui, a suivi une formation de paysagiste dans un lycée agricole. Mais il n’y a aucune offre dans son département. Gaëlle, Charlotte ou Julien, ce sont les enfants des « gilets jaunes » dont le destin semble déjà scellé avant même la naissance. Bien que majoritaires (ils représentent 60 % de la jeunesse), comme leurs parents, ils sont longtemps restés hors des radars médiatiques et politiques. Avec le magnifique, Leurs enfants après eux, qui vient de recevoir le prix Goncourt 2018, Nicolas Mathieu les a enfin mis en lumière, leur a donné un visage et une âme. Sous une forme plus didactique, Salomé Berlioux et Erkki Maillard s’inscrivent dans le même sillage. Dans Les Invisibles de la République, ils racontent la jeunesse de la France périphérique sans misérabilisme, mais sans omettre aucune des nombreuses difficultés qui se présentent devant elle : enclavement, fragilité économique, absence de réseaux professionnels aussi bien que numériques, autocensure, inégalités scolaires… Salomé Berlioux a elle-même grandi à Lurcy-Lévis, un hameau de 182 habitants dans l’Allier, avant de connaître une brillante ascension sociale. Erkki Maillard l’a encouragée à fonder l’association Chemins d’avenirs, pour permettre aux jeunes des zones rurales et des petites villes d’avoir autant de chance de réaliser leur potentiel que leurs camarades des grandes métropoles et des… banlieues. S’ils refusent toute concurrence victimaire avec la France des cités, les auteurs rappellent cependant certaines réalités. Par définition, les banlieues des grandes métropoles sont plus proches des centres mondialisé et des opportunités qu’ils offrent, que les bourgs de province. Et pourtant, dans la France périphérique, on ne dénombre « ni émeutes, ni zones de non-droit, ni camps retranchés interdits à la police ». Pas non plus de milliards déversés dans ces territoires qui voient leurs écoles, leurs hôpitaux et leurs bureaux de poste fermer. A quand une politique de la ruralité aussi volontariste que la politique de la ville ?
Les Invisibles de la République, de Salomé Berlioux et Erkki Maillard, Robert Laffont, 212 p., 20 €.