QUE GAGNE-T-ON VRA?IM? ENT ? par Eric Leroux
Avec la baisse des marchés boursiers en 2018, la diversification n’a pas été payante l’an dernier. Pour les professionnels, cela ne suffit pas à remettre en cause des choix à long terme
La recherche de per- formances a eu un goût amer en 2018, car elle s’est traduite par des pertes pour la plupart des épargnants ayant joué la carte de la diversification. Et même le recours à des professionnels de la gestion n’a pas permis d’échapper à la baisse : les mandats de gestion, dans lesquels la répartition entre différents types d’actifs financiers est déléguée à un spécialiste, sont eux aussi dans le rouge, hormis pour quelques « profils » parmi les plus sécuritaires, qui tournent autour de 0 %. Si les banques rechignent à communiquer les performances de cette gestion haut de gamme, arguant avec une bonne dose de mauvaise foi que leurs résultats sont incomparables en raison de la personnalisation de chaque portefeuille – dans les faits, la plupart sont gérés de manière industrielle ! –, il suffit de jeter un oeil à ceux que publient les jeunes « fintech », plus transparentes, pour en prendre la mesure.
DES PERFORMANCES À JUGER
SUR PLUSIEURS ANNÉES
Chez Yomoni, par exemple, le mandat le plus sécuritaire a enregistré l’an dernier un gain de 0,3 %, grâce à la place prépondérante du fonds en euros de l’assurance-vie (80 %), mais le plus offensif, investi à 100 % sur les marchés, accuse une perte de 10,2 %. Le choix d’un profil équilibré a conduit à une baisse de 5 %. Ces résultats sont cependant performants, car cette société recourt uniquement à des fonds indiciels cotés (ETF) aux frais faibles, là où les banques utilisent des supports plus chargés en frais, qui pèsent donc forcément sur la performance. Le courtier en ligne Altaprofits confirme cette tendance : ses mandats sont en baisse de 4,1 à 12,2 % du plus prudent au plus dynamique. Faut-il en déduire que le cocktail préparé par les professionnels est indigeste ? « Certainement pas, répond François de Saint-Pierre, associé gérant chez Lazard Frères Gestion, qui pilote de tels mandats. Il faut raisonner à long terme, et non sur une seule année, qui plus est très chahutée. » Chez Yomoni, les résultats depuis sa création en septembre 2015 s’élèvent ainsi de 6,1 à 11,1 % selon le degré d’exposition aux actions. La prise de risque a été modérément payante et les profils les plus dynamiques ont rapporté un peu plus qu’un placement sans risque. Chez Altaprofits, qui dispose d’un recul plus important, la progression sur cinq ans est de 20,42 % pour le profil le plus risqué. Mieux : sur dix ans, le profil Carte blanche (géré par Lazard) affiche 113,58 % de hausse, soit plus qu’un doublement du capital, en partant d’un point bas du marché, en pleine crise des subprimes. Enfin, Assurancevie.com, qui a confié le pilotage à Fidelity début 2018, affiche des résultats dans le rouge, mais avec des baisses modérées : – 0,64 % pour le profil modéré et – 5,26 % pour l’orientation audacieuse. Une performance honorable dans le contexte de marchés de l’année dernière.
ORGANISER SES PLACEMENTS EN FONCTION DE SES OBJECTIFS
Alors même que les placements dits sans risque ne rapportent plus rien et que même les plus performants, comme beaucoup de fonds en euros d’assurance-vie, ne permettent plus de se protéger de l’inflation, la plupart des professionnels estiment que le salut de l’épargne passe plus que jamais par la diversification, en s’appuyant sur différentes classes d’actifs, comme le font les gestions sous mandat et, dans une moindre mesure, les fonds profilés (lire encadré). « La recette universelle pour gagner, c’est toujours la diversification, martèle JeanPaul Raymond, fondateur de Quantalys, une société d’analyse de fonds et d’aide à la construction de portefeuilles. Pour faire les bons choix et réduire les risques de perte à moyen
et long terme, il faut toutefois tenir compte de l’horizon temporel de l’investissement et choisir une allocation adaptée à cette durée. Quand on a au moins dix ans devant soi, on peut se permettre de prendre des risques à court terme, sans en courir à l’échéance. »
Dans les faits, il n’est pas facile pour les épargnants de déterminer le cocktail idéal, car la plupart d’entre eux ignorent le plus souvent la durée pendant laquelle leur argent restera investi. Un constat qui n’a pas échappé à Daniel Haguet, professeur de finance à l’Edhec, qui recommande d’adopter l’approche développée désormais dans les pays anglo-saxons : le GBI, pour Goal-Based Investing, ou investissement basé sur les objectifs. « L’idée est de construire chaque partie du portefeuille d’épargne en fonction d’un objectif particulier et déterminé, par exemple un portefeuille pour les sommes mises de côté pour les études des enfants, un autre pour la préparation de la retraite, un autre encore pour la transmission, par exemple, explique-t-il. Une fois ces objectifs déterminés, il suffit de choisir, en fonction de la durée prévue, l’allocation d’actifs la plus efficace pour y parvenir », explique-t-il. Avec un tel modèle, les choix deviennent plus faciles et moins risqués, puisque chaque « boîte » fait l’objet d’une gestion différenciée. Les niveaux de risques peuvent donc être très différents de l’une à l’autre, ce qui limite le risque d’avoir des mauvaises surprises. Autrement dit, il n’existe pas une recette idéale et universelle de cocktail, mais plusieurs, en fonction de l’objectif recherché et du temps nécessaire pour l’atteindre. Seul souci, selon François de Saint-Pierre : « Dans notre pays, la projection à long terme est très rare. Nos concitoyens se projettent sur les trois ou cinq prochaines années, mais rarement plus. Cela ne leur permet pas de saisir les opportunités des marchés, en particulier des marchés boursiers qui sont les plus efficients à long terme. Pourtant, si l’on veut que l’épargne conserve son pouvoir d’achat, il
faut coller à la croissance mondiale et l’investissement dans les entreprises est le meilleur moyen d’y parvenir. » Il regrette aussi le manque de recours à la pratique des investissements réguliers, qui permet de lisser les points d’entrée sur les marchés et d’acheter plus de titres quand les cours sont bas, et moins quand ils sont hauts. Une technique qui permet donc de prendre plus de risques qu’avec un versement unique en capital, qui se retrouve immédiatement à la merci d’une baisse des marchés boursiers.
TENIR SON CAP
Pour réaliser ces cocktails idéaux, les épargnants et investisseurs disposent pourtant de nombreuses possibilités. Si la gestion sous mandat, ou déléguée (les appellations varient selon les supports et les investissements) a le vent en poupe, elle a aussi ses détracteurs, qui la jugent souvent onéreuse et pas toujours très transparente. Aujourd’hui, des sociétés spécialisées, notamment la plupart des fintechs, permettent de construire un portefeuille diversifié après avoir répondu à un questionnaire sur votre profil et vos objectifs. Y figurent, généralement, le niveau de perte maximale qu’il faut être prêt à supporter et le potentiel de gains que vous pouvez en attendre. Reste ensuite à mettre en musique cette sélection en achetant les fonds indiqués, puis en suivant leur évolution pour arbitrer lorsque c’est nécessaire. Les professionnels ne sont d’ailleurs pas des arbitragistes fous : une fois l’allocation définie, ils réalisent peu de changement. « Le principe est de diversifier son investissement entre plusieurs classes d’actifs, les actions, les obligations et le monétaire, mais aussi à l’intérieur de chacune de ces classes d’actifs, explique François de Saint-Pierre. Ensuite, il faut donner des inflexions progressives, et éviter les changements brutaux. Dans nos mandats, nous bougeons assez peu, et toujours progressivement. » Et il a une jolie formule : « Nous ne nous intéressons pas à la hauteur des vagues, c’est-à-dire aux soubresauts des marchés boursiers à court terme, mais seulement à l’importance des marées, soit aux grandes évolutions économiques. » Selon lui, « si on est instable dans un environnement instable, on risque d’avoir deux fois tort ». Si aujourd’hui la gestion sous mandat est à portée de la majeure partie des épargnants, car accessible dès 1 000 euros chez de nombreux courtiers en ligne, elle reste l’apanage des personnes fortunées dans les banques et les compagnies d’assurances. Les personnes qui souhaitent se débarrasser de la gestion au jour le jour sans pour autant frapper à la porte de ces fintechs, ont donc tout intérêt à procéder elles-mêmes à cette diversification. « Mais cela n’a de sens qu’avec un capital minimum de 10 000 €, observe Jean-Paul Raymond. Pour des montants inférieurs, mieux vaut se tourner vers des fonds diversifiés dans lesquels les gérants assument la responsabilité de l’allocation et celle de la sélection des titres ou valeurs. » Les fonds flexibles, malgré des performances décevantes l’an dernier, répondent à ce besoin. « Mais il faut prendre garde de ne pas miser sur un seul fonds et de diversifier les gérants pour réduire les risques d’une contre-performance », recommande Jean-Paul Raymond, qui observe néanmoins que, l’an dernier, « la plupart de ces fonds n’ont pas tenu leur promesse d’amortir les baisses tout en gagnant lors des hausses ». Mais sur cinq ans, la promesse de ne pas perdre est tenue.
UNE SOLUTION SIMPLE
Pour les épargnants qui recherchent la simplicité, Hubert Rodarie, dirigeant de la SMAvie BTP, met en avant une solution : « Il existe un très bon compromis au sein de l’assurance-vie : investir à 80 % sur le fonds en euros garanti et à 20 % sur un bon support en actions. Cela correspond aux besoins de beaucoup d’épargnants, car le risque à moyen terme est faible, tout en permettant de capter les phases de hausse des marchés boursiers. C’est une allocation tout-terrain. » Avec une telle répartition, le capital est quasiment préservé des baisses, car les gains du fonds en euros compensent les éventuelles baisses des marchés boursiers : sur huit ans, il faudrait que la valeur du fonds actions baisse de 70 % pour entraîner le capital dans le rouge, selon des simulations effectuées par l’assureur. Un risque qui paraît assez faible dans un environnement économique que de nombreux professionnels jugent toujours porteur et dans lequel ils continuent à privilégier l’investissement en actions. ■