L’AVENIR DES FONDS PATRIMONIAUX EN QUESTION
L’an dernier, ces fonds n’ont pas réussi à amortir la baisse de la Bourse. Revue de détail et perspectives d’un placement qui a séduit les ménages
Mais qu’est-il donc arrivé aux fonds patrimoniaux ? S’il n’existe pas de définition rigoureuse de ces produits financiers, leur philosophie est assez parlante. Alors que les fonds actions cherchent à maximiser les performances en se concentrant sur des actifs risqués mais plus fortement rémunérateurs sur longue période, les fonds patrimoniaux ont pour mission première de protéger le patrimoine qui leur est confié en diversifiant les risques, l’idée étant de générer une performance assez régulière, sans à-coup. Mais force est de constater que la plupart de ces produits n’ont pas rempli le « contrat moral » qui les lie à leurs investisseurs, à commencer par le plus célèbre d’entre eux, Carmignac Patrimoine, qui a chuté de 11,3 % l’an dernier. Pourtant, dix ans plus tôt, en 2008, année bien plus mauvaise que 2018 (le CAC 40 s’était effondré de 42,7 %, presque quatre fois plus que l’année dernière) ce fonds avait conquis ses lettres de noblesse en réalisant une performance de 0,01 %, répondant parfaitement à sa mission : sauver le capital dans les moments les plus difficiles !
Ce qui est différent cette fois, c’est que ce ne sont pas seulement les actions qui ont flanché en 2018. On a assisté à une baisse synchronisée de la plupart des autres classes d’actifs, une réalité dont Carmignac Patrimoine n’est pas la seule victime. La plupart des fonds concurrents enregistrant également sur un an des reculs significatifs. Ainsi, Sycomore Allocation Patrimoine a abandonné 6,7 % en 2018. « La diversification n’a pas fonctionné l’an dernier », résume Stanislas de Bailliencourt, cogérant de ce fonds. Selon lui, trois raisons expliquent ce recul général des marchés. « Cela traduit d’abord un ralentissement de la croissance économique globale, indique-t-il, mais aussi le retrait d’une partie des liquidités injectées, après la crise financière, par la Banque centrale américaine et, enfin, la montée des risques politiques. » C’est en prenant correctement en compte ces derniers que certains fonds ont pu limiter la casse. « Nous avons réduit les risques en mai et juin, en diminuant la part des actions et des obligations italiennes, notamment pour tenir compte de la montée des risques politiques, parmi lesquels l’Italie, et bien sûr la guerre commerciale lancée par le président américain contre la Chine », rappelle JulienPierre Nouen, directeur de la gestion diversifiée de Lazard Frères Gestion. Avec une performance négative de 3,4 % en 2018, Lazard Patrimoine s’en sort avec les honneurs, faute de briller.
2019, UNE ANNÉE CRUCIALE
Reste une question : l’année 2018 sonne-t-elle le glas de cette gestion patrimoniale qui a connu le succès sur la dernière décennie ? Autrement dit : ces fonds doivent-ils se réinventer ou faut-il considérer que l’année 2018 qui les a mis en porte-à-faux n’est qu’un accident non destiné à se reproduire de sitôt ?
Chez Carmignac, on ne nie pas les problèmes rencontrés. « Compte
tenu de nos ressources et de notre culture du risque, il n’est pas normal que nous n’ayons pas produit de meilleures performances dans la période récente, admet sans détour Didier SaintGeorges. « Nous avons mal capté le potentiel de performance en 2017 et mal géré les risques de marché en 2018. » Après avoir renforcé par des recrutements ses capacités d’analyse, la société a fait le constat que le maillon faible était la capacité à en tirer des décisions claires. « Pour remédier au problème, il fallait renouer avec notre capacité à faire émerger des convictions robustes et à les mettre en oeuvre. C’est pourquoi nous avons créé un comité d’investissement stratégique où chaque recommandation d’allocation forte doit désormais emporter l’adhésion d’une majorité claire », explique Didier Saint-Georges.
Pour symboliser la nouvelle donne, le fondateur Edouard Carmignac cède officiellement les rênes du fonds créé il y a trente ans à deux gérants. Reste désormais à retrouver des performances à la hauteur de la sécurité attendue par les clients.
Pour d’autres fonds patrimoniaux, l’année 2018 tient plus, jusqu’à preuve du contraire, de l’accident de parcours isolé et n’occasionne pas de remise en cause aussi radicale, même si le moment reste délicat. « Nous sommes dans une période de transition qui ne favorise pas la prise de risque, juge Stanislas de Bailliencourt. Pour les fonds patrimoniaux, il faut savoir être patients, et nous avons ainsi, de manière temporaire, près de 40 % de cash dans notre portefeuille. Il faut aussi avoir des ambitions de performance plus raisonnables : faire 5 % par an régulièrement est aujourd’hui très difficile, notamment parce que le rendement des obligations d’Etat est proche de zéro. »
D’IMPORTANTS RETRAITS
Pour deviner l’avenir des fonds patrimoniaux, il est aussi intéressant de se tourner vers les conseillers en gestion de patrimoine qui les distribuent à leurs clients. Ce sont eux qui avaient fait leur succès, eux aussi qui ont exprimé leur défiance en 2018 en retirant une partie de l’argent de leurs clients de ces stratégies. Pour autant, ils ne prédisent pas la mort de ce type d’approche. « On retiendra sans doute 2018 comme une année très atypique », estime ainsi Hervé de La Tour d’Artaise, dirigeant d’A2PF spécialisé dans l’audit patrimonial et la planification financière. Autrement dit : vendre les fonds patrimoniaux après la baisse qu’ils ont encaissée, c’est peutêtre prendre le risque de cristalliser une perte et de se priver d’un rebond futur. Pascale Baussant, gérante de Baussant Conseil, refuse de jeter le bébé avec l’eau du bain. « Les fonds patrimoniaux répondent à un besoin de régularité des performances qui existe toujours chez nos clients, rappelle-telle. Et les solutions qui y répondent ne sont pas si nombreuses. Sortir des fonds patrimoniaux pour investir dans des fonds actions équivaudrait à changer le niveau de risque des portefeuilles. » Pour autant, il n’est pas certain que l’année 2019 suffise à redorer le blason des fonds patrimoniaux, avec un contexte économique et politique qui promet de rester compliqué. « Pour nous qui les distribuons, le problème est que, n’étant pas à l’intérieur de la machine, nous n’avons pas forcément une vision claire des choix qu’ils font », rappelle Stéphane Van Huffel, cofondateur de Netinvestissement.fr. Depuis trois ans, il préfère aux fonds patrimoniaux la construction d’une allocation mêlant fonds en euros et fonds actions thématiques. Le fonds en euros apporte la garantie sur le capital et les intérêts acquis, tandis que les seconds permettent de s’exposer de manière ciblée à des segments porteurs du marché actions, via des gérants très spécialisés.
Les fonds structurés sont aussi une concurrence potentielle pour les fonds patrimoniaux. « Leur principe est de servir un intérêt annuel fixé à l’avance sous réserve de la réalisation d’une condition de marché, comme le fait qu’un indice actions donné va repasser au-dessus de sa valeur actuelle à la date anniversaire du fonds », explique Serge Harroch, fondateur d’Alpha Phi. Si l’année 2018 a été cruelle pour les fonds patrimoniaux et incite à envisager des alternatives, c’est cependant sur une plus longue période qu’il faut les juger : pour certains, ce difficile millésime n’a finalement fait qu’effacer un, voire deux ans de gains. Sur trois ou cinq ans, certaines performances restent donc assez solides. Surtout, la logique de ce type de produits est de ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier : cela reste du bon sens, même si le panier s’est avéré percé en 2018. ■