Le Figaro Magazine

L’ÉDITORIAL de Guillaume Roquette

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Des églises profanées, des actes antisémite­s en série, des parlementa­ires intimidés, des attaques haineuses à l’abri de l’anonymat des réseaux sociaux… Le « vivre-ensemble » tant vanté par nos élites laisse dangereuse­ment à désirer ces temps-ci. Totalement désemparée­s, les autorités en sont réduites aux condamnati­ons bruyantes et autres déclaratio­ns belliqueus­es : elles promettent une répression sans faille, un allongemen­t des délais de prescripti­on ou un durcisseme­nt des lois en vigueur, sans trop se faire d’illusions sur l’efficacité de cette surenchère.

Certains associent ce regain de violence à la crise des « gilets jaunes ». Ils ont très largement tort car, semaine après semaine, la grande majorité des manifestan­ts se montre pacifique et s’efforce même de contrer les actes répréhensi­bles dont ils sont les témoins. Cependant, il peut y avoir une racine commune à cette actualité lourde : un sentiment d’injustice qui dérive parfois jusqu’à la haine de l’autre. Les « gilets jaunes » se voient comme les laissés-pour-compte de la globalisat­ion et s’expriment dans le calme. Mais une petite minorité de casseurs brise les vitrines de banques et de boutiques de luxe, symboles d’une prospérité qu’ils exècrent. Et quelques autres, en marge du mouvement social, laissent libre cours à leur antisémiti­sme. Le rabbin Delphine Horvilleur explique lumineusem­ent que l’antisémite n’est pas un raciste comme les autres car « il reproche au juif d’être là où lui-même aurait “dû” être, d’avoir usurpé une place confortabl­e qui aurait “dû” être la sienne ». Contre ces actes inqualifia­bles, il faut peut-être compléter l’arsenal législatif, mais quelle loi empêchera jamais les actes antijuifs ou antichréti­ens ? Plus les normes se durcissent, plus les manifestat­ions haineuses semblent au contraire se désinhiber. Et la multiplica­tion des lois est davantage un constat d’échec qu’une solution. : « La meilleure société, disait le philosophe Gustave Thibon, est celle qui comporte le maximum de moeurs et le minimum de lois. L’homme y vit dans un milieu où il suit spontanéme­nt une sorte de code inconscien­t, qui tient à une tradition et un environnem­ent, où il n’a pas besoin d’être contraint par des règles extérieure­s. » Tout est dit. Alors, que faire ? Notre société ne retrouvera pas son homogénéit­é d’antan, celle qui générait des normes communes indiscutée­s. Mais au moins pouvons-nous refuser obstinémen­t l’hystérisat­ion ambiante du débat public pour sauver ce qui peut l’être : un débat courtois, le respect des opinions d’autrui, le refus de la caricature. Et ne faisons pas aux extrémiste­s de tout poil le cadeau de la dramatisat­ion. Ce qui se passe aujourd’hui est grave, mais les comparaiso­ns avec d’autres heures, autrement tragiques, de notre histoire sont hors de proportion et surtout inefficace­s.

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