LA PAGE HISTOIRE de Jean Sévillia
Comment être basque (ou breton ou alsacien) et français ? Olivier Grenouilleau explore la relation des petites patries à l’Etat central.
Etre attaché à sa petite patrie – son village, sa ville, son département ou sa région d’origine – est-il préjudiciable à l’unité nationale ? Le particularisme nourrit-il au contraire le loyalisme envers la grande patrie ? Une idée reçue voudrait que le débat soit apparu avec le basculement de 1789. A la France d’Ancien Régime, hérissée de statuts provinciaux divers, la Révolution aurait substitué un territoire régi par les mêmes lois de
Lille à Marseille. L’affirmation contient sa part de vérité, mais présente des limites car la centralisation à la française n’est pas née ex nihilo en 1789, pas plus que l’idée régionale n’a disparu à la même époque. « Régions et provinces se sont-elles formées contre l’Etat ou par l’Etat ? » Telle est l’interrogation à laquelle entend répondre Olivier Grenouilleau, qu’on a découvert sur un tout autre sujet, puisqu’il est spécialiste de l’histoire de l’esclavage.
Dans une brillante synthèse d’histoire politique, l’auteur, inspiré par Tocqueville, montre que, par-delà la rupture de 1789, notre histoire nationale présente de saisissantes continuités. Si le cadre départemental, créé sous la Révolution, a modifié l’ancienne organisation provinciale française, l’analyse détaillée prouve que les « pays », hérités de la période gallo-romaine, ont persisté sous la monarchie puis sous la République. De même, si « l’esprit de province » a été combattu de la Révolution au milieu du XIXe siècle, le second Empire puis la IIIe République ont vu un renouveau de l’idée régionale, dont l’apogée a été atteint au début du XXe siècle. A la Libération, en réaction aux radicalisations de l’entre-deux-guerres et au souvenir de Vichy, l’idée régionale a été discréditée, au contraire, avant de revenir en force dans les années 19601970, soit sous l’angle contestataire post-68, soit sous l’angle des lois de décentralisation. Mais entre-temps, le mot « province », taxé d’archaïsme, a été rejeté du vocabulaire politique…
A travers ces allers et retours de l’histoire, Olivier Grenouilleau explore la relation subtile qui, en France plus qu’ailleurs, relie le centre d’un pays à sa périphérie. Nos petites patries. Identités régionales et Etat central, en France, des origines à nos jours, d’Olivier Grenouilleau, Gallimard, 282 p., 22 €.