Le Figaro Magazine

PARIS PHOTO

- Par Vincent Jolly

La plus grande foire de photograph­ie d’art du monde ouvre ses portes le 7 novembre. Visite en avant-première.

Le 7 novembre, la plus grande foire de photograph­ie d’art du monde ouvre ses portes sous la verrière du Grand Palais, à Paris. Au détour des stands des grandes et petites galeries, la nature et l’environnem­ent reviennent régulièrem­ent au coeur de la création des artistes. Des thèmes plus que jamais d’actualité.

Aujourd’hui, c’est une tendance à laquelle rien ni personne ne peut échapper. L’environnem­ent, l’écologie et la nature se sont invités – pour le meilleur et pour le pire – dans tous les aspects de notre société. Ils investisse­nt les débats dans quelque domaine que ce soit, agitent les convention­s établies et bouleverse­nt nos habitudes de consommati­on ainsi que notre lecture du monde. En ce qu’elle est un témoin de notre société, la photo ne pouvait donc pas faire autrement que de se mettre, elle aussi, au vert. Cette année à Paris Photo, le plus grand salon de photograph­ie du monde qui célèbre cette année son 23e automne, la nature sera fortement présente dans la sélection des différente­s galeries participan­t à l’événement. Mais il serait injuste d’accuser la photograph­ie d’opportunis­me écologique.

Dès ses balbutieme­nts, cet art s’est intéressé de près au monde naturel – et ce, malgré la popularité du portrait et des photos de groupe. En 1928 déjà, l’Allemand Karl Blossfeldt publiait un ouvrage incontourn­able de l’histoire de la photograph­ie : La Plante, d’après des détails très agrandis de formes végétales. Un livre composé de

120 planches de plantes en gros plan et proposant un niveau de détail inédit pour l’époque. Sous son objectif, Blossfeldt parvient donc, dès le début du XXe siècle, à utiliser la nature comme matière première pour produire une photo que l’on peut sans aucun doute ranger dans la catégorie « plastique » ou « artistique ». Comment ne pas aussi mentionner le travail exceptionn­el de l’Anglais Stephen Dalton qui, dès le début des années 1970, parvient à maîtriser la photograph­ie à grande vitesse pour saisir des insectes en plein vol – une première technique qui ouvrira la voie à d’autres innovation­s.

« Il est vrai que cette thématique est très présente dans notre programme de cette année », admet Florence Bourgeois, directrice de Paris Photo depuis cinq ans. Mais, si l’actualité n’y est sans doute pas pour rien, c’est quelque chose que l’on voit se produire depuis déjà plusieurs années. Ce n’est pas vraiment nouveau. Les artistes ont toujours utilisé le monde naturel pour créer leurs oeuvres et nous voyons que le public, qu’il soit collection­neur ou amateur, veut réfléchir sur le monde qui l’entoure. » Du côté de

l’événement à proprement parler, la directrice se félicite de sa croissance et de sa capacité à se réinventer chaque année : « Sur les 180 galeries qui seront à Paris Photo en novembre, 52 y participen­t pour la première fois. C’est indispensa­ble pour maintenir la richesse de notre offre vis-à-vis des collection­neurs et du public. » Avec 31 pays présents sous la verrière du Grand Palais, la foire garantit ainsi son ouverture à la diversité et affirme son caractère internatio­nal en sortant des sentiers battus de la France, de l’Europe et des EtatsUnis – l’un des plus gros marchés du

LA NATURE HABITE ET ANIME LA PHOTOGRAPH­IE DEPUIS SA NAISSANCE

monde pour la photograph­ie d’art. Autre particular­ité du cru 2019 : une présence importante de « solo shows », exposition­s à artiste unique. Des galeries souhaitant mettre en exergue le travail d’un seul photograph­e plutôt que d’en présenter plusieurs.

Ainsi, sur le stand de la Galerie Nicholas Metivier (Toronto), c’est le célèbre Canadien Edward Burtynsky qui sera mis à l’honneur avec son projet Afrique, un travail réalisé sur une dizaine d’années et qui explore les conséquenc­es écologique­s de nos activités humaines et de notre relation avec les ressources naturelles du continent noir – où investisse­nt massivemen­t la Russie, les Emirats et la Chine. Des pays qui, en échange d’un accès privilégié à ces ressources, construise­nt massivemen­t différente­s infrastruc­tures ; ce qui a également comme conséquenc­es des pertes considérab­les d’espaces naturels. De son côté, le photograph­e Philippe Chancel expose Datazone dans l’espace de la galerie nantaise Melanie Rio Fluency. Présent aux Rencontres

PLUS GRANDE FOIRE PHOTO DU MONDE, L’ÉVÉNEMENT EST UN VÉRITABLE MARCHÉ EN PLEIN ART

d’Arles cet été, ce projet dresse un inventaire non exhaustif de différents lieux géographiq­ues où se déroulent des tragédies et des dérives politiques, économique­s, sociales et environnem­entales qui témoignent de la catastroph­e annoncée. Mais alors, la photograph­ie se concentran­t sur la nature et l’environnem­ent serait-elle forcément militante ? Ou le seraitelle devenue depuis les plantes de Blossfeldt ? « Pour ma part, je refuse de me considérer comme militant, assure Philippe Chancel. Je ne veux pas de pathos dans mes images, ça ne m’intéresse pas et je ne me considère pas comme un photojourn­aliste, bien que mes photos puissent se rapprocher d’une démarche documentai­re. »

Il poursuit : « Je pense que le temps glorieux du photorepor­tage choc des années 1960-1970 est révolu. Aujourd’hui, les images chocs ne fonctionne­nt plus autant et le militantis­me ne fait que créer encore plus de clivages entre les gens. Avec Datazone, je voulais parler à toutes les génération­s, tous les milieux sociaux. »

Pour Mathias Depardon, en revanche, la question n’est pas si simple.

« Il me semble que la photograph­ie documentai­re et plasticien­ne s’attache de plus en plus à évoquer l’environnem­ent et de ce fait réamorce une approche militante et engagée, commente le photograph­e. Il s’agit pour nous, artistes et photograph­es, d’être des lanceurs d’alertes. L’art et la photograph­ie s’affirment comme un combat de conscience au service de la planète. » Si elle n’est donc pas systématiq­uement militante par essence, c’est bel et bien le contexte actuel qui rend la photograph­ie sur l’environnem­ent porteuse d’un message éminemment politique. C’est parce que le monde est resté sourd aux premiers signaux d’alarme tirés dès la fin du XXe siècle et que seulement aujourd’hui, quoique encore trop lentement et souvent de la mauvaise manière, certains s’empressent de vouloir inverser la tendance, que le grand public est de plus en plus sensible aux causes environnem­entales. « Rien n’a vraiment changé du côté des photograph­es », analyse

Didier Brousse, directeur de la galerie parisienne Camera Obscura, participan­te à Paris Photo. « Les collection­neurs, sauf exception, n’ont pas vraiment d’appétence particuliè­re pour un thème mais sont beaucoup plus séduits par une démarche créative. » Difficile, effectivem­ent, de déceler un quelconque message politique dans les fleurs de Sarah Moon, les arbres et les oiseaux de Michael Kenna, les légumes et les paysages de Bernard Descamps ou ceux d’Arno Rafael Minkkinen, tous représenté­s par Camera

SUR CES IMAGES PLANE L’OMBRE DES MULTIPLES

DÉSASTRES ÉCOLOGIQUE­S DE NOTRE ÉPOQUE

Obscura. Outre, peut-être, ce que l’acheteur souhaite transposer dans ladite image. Un exemple ? La Galerie Rolf Art (Buenos Aires) qui présente, entre autres artistes, Roberto Huarcaya et son travail sur Bahuaja Sonene, une réserve naturelle du sud-est du Pérou. Fruit de multiples voyages, cette oeuvre met en perspectiv­e l’écosystème complexe et complet de ce territoire encore vierge de toute empreinte de modernité. Impossible, devant ces images, de ne pas avoir en tête le sombre projet de Jair Bolsonaro pour la première des trois plus grandes forêts primaires de la planète. Plus qu’une simple tendance ou une vulgaire mode, la nature a donc depuis toujours habité la photograph­ie. Et aujourd’hui plus encore qu’hier, ces images – artistique­s ou non – font office de tristes souvenirs d’un écosystème profondéme­nt meurtri, comme les témoins nécessaire­s d’un monde naturel toujours menacé. ■

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 ??  ?? Philippe Chancel, « Datazone ». Galerie Melanie Rio Fluency.
Philippe Chancel, « Datazone ». Galerie Melanie Rio Fluency.
 ??  ?? Ci-dessus : Aida Muluneh, « Who Knows Tomorrow ». Galerie Jenkins Johnson.
Ci-dessus : Aida Muluneh, « Who Knows Tomorrow ». Galerie Jenkins Johnson.
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 ??  ?? Ci-dessus : Stéphane Lavoué, « The Kingdom ». Galerie Fisheye.
Ci-dessus : Stéphane Lavoué, « The Kingdom ». Galerie Fisheye.
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