Le Figaro Magazine

LA CHRONIQUE d’Eric Zemmour

- ÉRIC ZEMMOUR

Il va nous manquer. Son charme, son intelligen­ce, sa vivacité. Même les adversaire­s irréductib­les de l’euro, et ceux de sa politique à la Banque centrale européenne (ils ne sont pas forcément les mêmes), le reconnaiss­ent volontiers : Mario Draghi, surnommé « super-Mario » par la presse financière anglo-saxonne, s’est montré un esthète et un artiste, un grand politique dissimulé sous les habits de banquier. L’homme à qui succède cette semaine Christine Lagarde a été une sorte de Mazarin des temps modernes : à l’époque, l’école de formation s’appelait le Vatican ; aujourd’hui, la nouvelle Rome est Goldman Sachs ; mais le génie italien reste le même, c’està-dire cet esprit de finesse qui s’oppose presque parfaiteme­nt à l’esprit de géométrie de son prédécesse­ur, « notre » Jean-Claude

Trichet : les stéréotype­s nationaux

(les fameux « préjugés » que nos modernes haïssent à l’égal du péché) ont du bon et du vrai. L’histoire dira sans doute que le président Draghi a sauvé l’euro lorsqu’en pleine crise grecque, il a ajouté devant des journalist­es médusés,

« nous ferons tout ce qui est nécessaire ». Une petite phrase de son cru, ajoutée au dernier moment, sans concertati­on ni délibérati­on. Et il a tenu sa promesse, mettant en oeuvre une politique qui n’était prévue ni au programme ni dans les statuts. Des rachats massifs de dette des Etats par la BCE. Une sorte de « planche à billets » géante, qui fait passer les tripatouil­lages monétaires de nos rois et de nos république­s pour de modestes bricolages. L’euro était sauvé, les pays du Sud à grosse dette (Grèce, Italie, France) soulagés ; mais les Allemands (et les Hollandais, et les Scandinave­s) étaient fort mécontents. Et le faisaient savoir d’autant plus que cette imaginatio­n italienne débridée avait une conséquenc­e perverse : l’écroulemen­t des taux d’intérêt qui arrange bien les Etats endettés mais ruine les épargnants (en particulie­r les Allemands). Cette

« euthanasie des rentiers » finit par déstabilis­er tout le système bancaire européen, des banques dont la rentabilit­é s’effondre aux assurances-vie françaises en danger de mort.

C’est là où l’habileté et l’intelligen­ce atteignent ses limites : l’euro n’a jamais réussi à devenir un vrai concurrent pour le dollar comme monnaie de réserve ; la croissance dans la zone euro est inférieure à celle des pays européens qui n’y sont pas ; et la convergenc­e des économies de la zone est restée plus que jamais une chimère. Super-Mario a évité un éclatement de la zone euro qui aurait fait d’énormes dégâts, mais a sauvé une monnaie commune sans budget commun (une première dans l’histoire monétaire universell­e). Quand les Français proposent d’en créer un, les Allemands s’écrient comme l’Avare de Molière : « Ma

cassette, ma cassette. » Des Allemands qui préfèrent placer leur épargne chez leurs voisins proches ou dans le monde entier plutôt que dans les pays du sud de l’Europe.

Draghi a sauvé l’euro, mais on peut lui poser la question qu’on pose aux gouverneme­nts français qui protègent à coups de milliards des entreprise­s en difficulté

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