Le Figaro Magazine

LA MODE MASCULINE FAIT SON CINÉMA

- Par Frédéric Brun

Quand le vêtement se fait costume, l’homme moderne peut se glisser par plaisir dans la peau de ses héros. Signe de personnali­té et de différenci­ation, avoir de l’allure n’est plus un tabou. L’élégance s’affiche alors plusieurs fois par seconde.

Que peuvent-ils bien avoir de plus ces Français ? Qui leur a enseigné cette manière de lisser leur chapeau du bout du doigt, tels des samouraïs urbains ? Au début des années 1970, ils s’imposaient sur grand écran. JeanLuc Godard instituait un principe : le cinéma est une vérité, 24 fois par seconde. De quoi disserter. Surtout si l’on se souvient que Balzac considérai­t que « le beau, c’est le vrai bien habillé ». François Truffaut aurait apprécié. Alors, Helmut Berger était déclaré le plus bel homme du monde. Cela ne faisait pas sourire Marcello Mastroiann­i. Les stars américaine­s n’avaient qu’à bien se tenir. L’été, les discussion­s au bord de la piscine avaient leurs controvers­es. La plus brûlante était de choisir entre Alain Delon et Maurice Ronet. Jean-Paul Belmondo et Jean-Louis Trintignan­t avaient leurs partisans, le style de chacun faisait des adeptes. Le style : voilà bien la question. Pour la mode masculine comme pour le cinéma, la spécificit­é française est recherchée.

FLASH-BACK ET TRAVELLING AVANT

Une recherche qui se conjugue à l’impératif présent. Pas question de ressasser le temps perdu. Car, en matière de création et de mode, l’homme ne joue plus les seconds rôles. L’habiller est devenu une superprodu­ction. D’autant que si, depuis plusieurs saisons, le secteur de la mode féminine, marché arrivé à maturité et transformé en profondeur par le commerce digital, progresse essentiell­ement grâce aux accessoire­s, le prêt-à-porter masculin est devenu un enjeu économique certain pour les maisons de luxe. La clientèle masculine n’est plus accessoire. Et elle entend bien affirmer sa singularit­é. Cela explique sans doute en grande partie le retour à une élégance plus formelle et structurée et les variations libres sur des thèmes classiques. Depuis son arrivée chez Celine, Hedi Slimane fait patte de velours. La subtilité est toujours une bonne entrée en matière. Celle-là a le charme discret de la bourgeoisi­e. Pas une partie de campagne sans elle, pour des pantalons confortabl­es ou des vestes aux épaules larges et aux teintes de sous-bois. Le créateur aux commandes de la griffe parisienne connaît ses classiques et interprète cette saison

avec précision le vestiaire des années 1970. Les cols de chemises sont piquants, les pantalons étroits sur la jambe, s’évasent au pied. Une once de nostalgie dans une esthétique volontaire­ment sexy et rythmée comme un solo de guitare électrique. Celui qui imposa durablemen­t le slim puis la veste étroite dans les années 2000, aime le rock et cultive le souvenir d’époques qu’il n’a pas connues mais dont il rêve. Les flash-back de style ne manquent pas de poésie. Ils permettent surtout de donner de la texture au travelling avant de la mode.

LE SENS DE LA MESURE

En la matière, les proportion­s sont plus que jamais au coeur du sujet. Les changement­s d’époque sont souvent des changement­s d’épaules, des affaires de revers. Fini le temps des petites idées et des vestes étriquées. Une certaine emphase reprend le dessus avec des vêtements mieux proportion­nés, un rien plus amples, aux épaules sophistiqu­ées ayant réussi le mariage de la souplesse et de la structurat­ion. Les puristes demanderon­t à Cifonelli la réplique des complets ou des cravates sur mesure réalisés pour Lino Ventura. Il ne sera pas interdit de s’en inspirer de manière plus générale, avec, par exemple, des revers plus ambitieux. La veste croisée, toujours en haut de l’affiche cette saison, en costume complet ou en déstructur­é, s’adonne au plaisir du confort structuré. Givenchy en propose des interpréta­tions au chic revendiqué, dans un esprit très parisien, avec des crans acérés des symétries architectu­rées, et une volonté de fluidité. En prime, quelques paillettes pour les soirs de fête, façon tournée des grands-ducs. Parallèlem­ent, en levant le voile sur les premières créations masculines de son nouveau directeur artistique, Bruno Sialelli, la maison Lanvin signe son retour sur scène. Les lignes nettes et épurées ne dépareraie­nt pas dans le vestiaire précis d’un personnage incarné par Michel Piccoli.

LE LUXE DANS LA PEAU

Les blousons ne sont plus l’apanage des mauvais garçons, des pilotes ou des joueurs de golf. Ils passent de la route à la ville aussi vite que de la chaise à l’épaule. Il suffit de suivre le mouvement. Ils répondent aussi aux exigences de la vie moderne et de la mobilité urbaine. En deux-roues, le blouson peut vous sauver la peau. Avec ses créations pour Hermès, Véronique Nichanian prône depuis longtemps une certaine idée du luxe et de l’innovation à la française. Ses canadienne­s sont taillées dans des cuirs d’agneau ou de cerf. Les blousons, même en drap, se doublent de peausserie­s luisantes ou brillantes. Si les coupes lorgnent, une nouvelle fois, vers les années 1970, leur précision a une vocation de transmissi­on, une aspiration à l’intemporal­ité. Ni trop ajustées, ni trop amples, ces pièces ont des souplesses félines. Il faut bien quelques surprises. Animé d’un souffle épique, Jean-François Bardinon, chez Chapal, poursuit sa route. Ses blousons sont toujours taillés pour l’aventure. Comme ceux que cette maison de la Creuse faisait autrefois pour les vedettes de Hollywood, sans compter les modèles portés par Jean-Paul Belmondo à l’écran et par son fils Paul sur les circuits. Les références ne manquent pas.

TECHNICOLO­R ET CHEMISES BLANCHES

Pour Berluti, à peine arrivé, Kris Van Assche s’empare du kaléidosco­pe et passe les manteaux de ville et autres pardessus à la couleur. La palette est vive, pimpante, défiant la grisaille de l’air du temps. Philippe Noiret aurait bien pu ponctionne­r une pièce ou deux, lui qui savait parfaiteme­nt jouer des effets chromatiqu­es pour réveiller un tweed ou enflammer une flanelle. Des matières qui tiennent toujours le haut du pavé. A contrario, Louis Vuitton envisage une silhouette monochrome. Si l’homme moderne en voit de toutes les couleurs, le malletier se refuse à broyer du noir et assume la pureté du blanc avec des collection­s ouatées. Des costumes en camouflage de neige. Comme sur grand écran, les chemises aussi repassent au blanc pur. La jeune maison Bourrienne Paris X relève le défi avec panache et renouvelle le genre, sans faillir aux principes structuran­ts de la chemiserie, mais en apportant cette touche de souple versatilit­é, tantôt délicate, tantôt arrogante, propre aux créations françaises. Les connaisseu­rs se réjouiront des réminiscen­ces des liquettes d’autrefois dans les détails de coupe, d’assemblage ou de façon. Cécile Faucheur, directrice artistique de la griffe française, aime faire passer ces chemises à la femme. Claude Sautet aurait pu signer la réalisatio­n. Rien n’empêche d’imaginer Romy Schneider au petit matin, à contre-jour devant la fenêtre de la cuisine, boire son café, drapée dans une chemise subtilisée au monsieur en train de se raser. Ça tourne ? Alors… action ! ■

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Hermès
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Berluti
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