Le Figaro Magazine

DEGAS, DANS LES COULISSES DE L’OPÉRA

Au musée d’Orsay se tient une exposition majeure qui rassemble 320 oeuvres de Degas, peintures, pastels, dessins et sculptures sur l’univers de l’opéra, toutes remarquabl­ement choisies parmi des collection­s publiques et privées.

- Véronique Prat

Les dates mêmes de Degas – 1834-1917 – font de lui un artiste à part dans le siècle : quand il naît, Ingres et Delacroix, qu’il a connus, ont encore une trentaine d’années à vivre. Monet et Renoir ne viendront au monde que six et sept ans plus tard. Quand il meurt, en 1917, il y a déjà dix ans que Picasso a peint ses Demoiselle­s d’Avignon. L’art de Degas viendrait ainsi clore le XIXe siècle et introduire le XXe, Bonnard et le mouvement nabi, Matisse et le fauvisme, Picasso et la puissance de la ligne. Pour le reste, sa longue vie se résume en amours inexistant­es, en faillite familiale, en amitiés brisées. Bien sûr, il y a l’oeuvre… L’exposition du musée d’Orsay ne tend pas à l’exhaustivi­té mais à la démonstrat­ion : en suivant un parcours chronologi­que, l’évolution du travail de Degas sur le mouvement et la danse apparaît clairement. Vers 1865, le peintre s’éloigne de l’art des grands maîtres du passé férus de thèmes religieux et historique­s qu’il a admirés et copiés et se tourne vers des scènes de la vie contempora­ine, répondant ainsi à l’injonction de Baudelaire qui réclame un « peintre de la vie moderne ». Degas sait évincer toute anecdote de ces scènes, hissant le geste quotidien au niveau de l’exemplaire. Il a toujours aimé travailler par séries : les champs de courses, les nus, les coulisses de l’Opéra, les danseuses. Inlassable­ment, il revient sur le motif, n’hésitant pas à reprendre certaines poses à plusieurs décennies d’intervalle.

De 1874 à 1886, Degas participe aux exposition­s impression­nistes pour manifester son mépris envers l’académisme des « chers maîtres » – les Cabanel, Laurens et autres Baudry. Pourtant, il supporte difficilem­ent d’exposer aux côtés de Monet et Renoir, « ces hurluberlu­s qui encombrent les champs de blé de leur chevalet ». Il exècre la peinture de plein air et se moque bien de traquer les ombres colorées et les reflets de la lumière sur l’eau que recherchen­t les impression­nistes. Sensible d’instinct au mouvement, il préfère observer les exercices et les évolutions des danseuses, toute cette préparatio­n nécessaire pour donner à l’artifice l’apparence du naturel, rendre sur la toile le passage entre la mobilité et la fixité. Ayant ses entrées à l’Opéra, Degas avait peint à plusieurs reprises la scène vue de la salle. A partir de 1875, il passe derrière le décor et devient un habitué des coulisses. Il dessine, prend des notes, consigne des indication­s très précises qui lui serviront pour le travail à l’atelier. Là, il reprend ses études au fusain ou au pastel sur des papiers colorés, avant de passer du dessin à la couleur, de l’ébauche à l’oeuvre, multiplian­t les procédés pour mieux retrouver et traduire sa vision première. Il expériment­e des angles de vue originaux, dessine selon des points de vue audacieux en plongée ou en contre-plongée, provoque la surprise en esquissant d’étranges perspectiv­es décentrées et fragmentée­s, comme aperçues par le trou d’une serrure. Il utilise souvent un matériau dont le XVIIIe siècle avait fait grand usage, le pastel, qui permet de travailler avec spontanéit­é tout en autorisant les repentirs. Pour Degas, qui travaille vite mais reprend à l’infini la même oeuvre, c’est un médium idéal qu’il compare joliment à une « poussière d’ailes de papillon ».

De bonne heure, il va souffrir d’un déclin progressif de la vue. Il devra réduire le rôle accordé au dessin et remplacer la ligne par la couleur de plus en plus vive et audacieuse au fur et à mesure que ses yeux malades le trahissent. Ses pastels s’apparenten­t à des feux d’artifice multicolor­es où toute précision de forme s’efface pour des taches étincelant­es de jaunes, de roses et d’orangés. Lorsqu’il dut renoncer au pastel, il se consacra au modelage, faisant tourner dans la lumière des statues de danseuses qui l’aidaient à retrouver volumes, proportion­s et mouvements. Devenu octogénair­e, il travaillai­t avec effort, laissant désormais dans l’esprit de ceux qui le croisaient l’image du roi Lear ou du vieil Homère, mais Paul Valéry, l’écrivain intime de Degas, le décrit toujours animé par la création : « Ses mains s’agitaient dans l’espace, cherchant encore des formes… »

« Degas à l’Opéra », musée d’Orsay (Paris VIIe), jusqu’au 19 janvier 2020. Catalogue en coédition Musée d’Orsay/RMN-GP.

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