Le Figaro Magazine

MARGAUX EN MERCEDES

Dessinée par le Bordelais Paul Bracq, la Mercedes 280 SL, communémen­t dénommée Pagode, a accompagné notre cavalcade au coeur du vignoble du Médoc.

- De notre envoyé spécial Sylvain Reisser

Sillonner les routes du vignoble de Margaux à bord de la Mercedes Pagode, cela coulait, pour ainsi dire, de source. Le cabriolet allemand est la plus française des Mercedes. Du sang bordelais coule même dans ses veines. Sa carrosseri­e est l’oeuvre d’un enfant du pays, Paul Bracq. Peintre prolifique à ses heures, ce designer n’est pas n’importe qui. Il a marqué l’automobile de son empreinte. Après avoir orienté le style Mercedes des années 1960, il crée le langage formel des BMW des seventies. Il est le père de la Turbo, le premier concept de la marque bavaroise. Chez Peugeot, à partir de 1974, il redéfinit le style intérieur des modèles de Sochaux et participe aux principaux programmes. La 205 lui doit beaucoup.

LE MÉDOC PAR LA DÉPARTEMEN­TALE 2

La Pagode est l’une des premières réalisatio­ns de ce Bordelais de souche. L’une des plus emblématiq­ues. Pour la firme à l’étoile également, la Pagode revêt une dimension particuliè­re. Présenté au salon de Genève de 1963, ce véhicule a une double mission : poursuivre la lignée des SL (Super Leicht) et succéder à la vieillissa­nte 190 SL née en 1957. Pour ce nouveau modèle, Paul Bracq a esquissé des lignes nettement plus modernes, carrées et élégantes. Mercedes s’est même offert le luxe de proposer trois variantes de carrosseri­e : un coupé à toit fixe et rigide dont la forme concave, particuliè­rement originale, lui vaudra le surnom de Pagode ; un cabriolet (sans capote) avec hard-top ; un cabriolet avec une capote amovible. C’est au volant de cette dernière version que notre chauffeur du jour, un certain Boris Bracq, le fils de Paul, nous a entraînés sur les routes du Médoc. L’été jouant ici les prolongati­ons, c’est le nez à l’air pour humer les senteurs matinales et les cheveux tourbillon­nant dans le vent que nous battons la campagne. A peine sortis de Bordeaux, nous avons déjà l’impression d’être dans un ailleurs. L’horizon est dégagé. Débarrassé des barres d’immeubles et des zones d’activité qui défigurent le paysage. Sur la départemen­tale 2, à moins d’emprunter la parallèle (D210) qui serpente gentiment sur la droite et vous fait traverser Parempuyre, le temps semble suspendu. Rien ne laisse soupçonner encore que nous sommes dans une région viticole. Ni que les eaux de la Gironde nous tendent presque les bras. Les champs de vigne se font encore désirer et le spectacle est celui d’une forêt à la végétation abondante. A 80 km/h, le 6 cylindres ronronne tranquille­ment. Une légère pression sur la pédale d’accélérate­ur le réveille. Stimulé par la sonorité enivrante, on accélère le rythme. Notre 280 SL est la dernière évolution de la série des Pagode. La plus performant­e des trois versions du modèle. Elle est animée par le 6 cylindres 2,8 litres de 170 chevaux, à injection indirecte et simple arbre à cames. Ce moteur maudit les embouteill­ages. Il a besoin de s’exprimer, sous peine de s’encrasser et de ne plus tourner sur tous ses cylindres. Tout rentre dans l’ordre lorsque l’on libère la cavalerie. Attention toutefois : cette mécanique ne goûte guère les hauts régimes. Ce défaut n’a pas empêché la Pagode de remporter en 1963 la course Liège-Sofia-Liège, un

LORSQUE LE SOLEIL DARDE SES RAYONS, UNE LUMIÈRE FINE PLANE DANS LE CIEL DU MÉDOC

véritable marathon de la route. Boris Bracq nous éclaire : « La boîte tire trop court. » Mais, pour traverser la rive gauche de la Gironde, cela n’a aucune incidence. Dans la circulatio­n actuelle, la Pagode n’est jamais dépassée par les événements. Il n’y a que la boîte 4 qui rappelle l’âge de l’auto. A la minceur déroutante du levier, il convient d’ajouter la nécessité de décomposer les opérations à chaque changement de vitesse. La Pagode bluffe surtout par le confort de ses sièges et la souplesse de ses suspension­s qui la rapprochen­t davantage d’une limousine que d’une sportive. Le volant, avec son imposante mousse de sécurité en son centre, renvoie aussi à l’univers de la berline. La mutualisat­ion des composants ne date pas d’aujourd’hui. L’instrument­ation profite également à d’autres modèles de la gamme Mercedes. Son originalit­é réside dans le cadre rectangula­ire implanté entre deux compteurs ronds. Il réunit les différents manos de contrôle. Autre singularit­é : la banquette arrière de la Pagode de Boris peut accueillir une troisième personne transversa­lement.

DES HECTARES DE VIGNE À PERTE DE VUE

A la sortie de Macau, nous entrons dans le vif du sujet. Un portail planté au milieu d’un rond-point (encore un) et matérialis­ant « les portes du Médoc » annonce la couleur. La Pagode poursuit son chemin sur la D2. Des pieds de vigne se dessinent sur notre gauche. Deux kilomètres plus loin, notre regard se porte à nouveau vers la gauche. Un parterre en pavé et une grille en fer forgé signent l’entrée dans le domaine du Château Giscours, troisième grand cru classé. Une classifica­tion qui avait été établie à la demande de Napoléon III, à l’occasion de l’exposition universell­e de 1855. La Pagode s’engage dans l’allée sableuse et cernée de vignes. Ce vignoble s’étale sur 160 hectares. On pourrait s’y perdre. Ou jouer à cache-cache. Y a-t-il des bâtiments ? Une maison ? Au loin, un donjon émerge d’une forêt de pieds de graves alignés comme un régiment à la parade. Un portail et un mur d’enceinte se dessinent au loin. Au bout de l’allée en graviers apparaît un château de style néoclassiq­ue. Sa beauté et sa simplicité sont saisissant­es. C’est au cours du XIXe siècle que ce palais a été édifié. Le soleil qui transperce le bâtiment de part en part ajoute à la majesté des lieux. Côté jardin, un autre décor s’offre aux visiteurs. Plus romantique. Un chemin court le long d’un cours d’eau. Ici, à l’abri des arbres centenaire­s, Château Giscours organise des garden-parties ou d’élégants pique-niques. En ressortant du domaine, on tourne à gauche en direction de Labarde. A l’entrée du village, un panneau jaune indique « Château Dauzac ». On ne voit que ça. On tourne à droite, dans la rue du Port-de-la-Bastide. Ce chemin vicinal nous conduit à la D209. Le domaine appartenan­t à la Maif et dirigé par Laurent Fortin longe la départemen­tale. Cinquième grand cru classé de Margaux en 1855, Dauzac dispose de 49 hectares de vignes d’un seul tenant, 45 hectares en appellatio­n margaux et 4 en haut-médoc. La maison de maître est visible depuis la route. La Pagode ne dépare pas dans l’allée qui y conduit. Sous les platanes centenaire­s, notre SL prend toute sa dimension. Les automobili­stes ne s’y sont pas trompés. En l’espace de huit ans, de 1963 à 1971, la SL code W113 a été produite à près de 49 000 unités.

Un grand merci à Boris Bracq et aux Ateliers Paul Bracq spécialisé­s dans l’entretien et la restaurati­on de la Mercedes Pagode, pour le prêt du véhicule.

 ??  ?? La Mercedes Pagode sous les platanes de Château Dauzac.
La Mercedes Pagode sous les platanes de Château Dauzac.
 ??  ?? Finesse : n.f. qualité de ce qui a le caractère d’une élégante délicatess­e.
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.
Finesse : n.f. qualité de ce qui a le caractère d’une élégante délicatess­e. L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à consommer avec modération.
 ??  ?? Château Giscours, deuxième étape
de la balade dans le Médoc.
Château Giscours, deuxième étape de la balade dans le Médoc.

Newspapers in French

Newspapers from France