LES CLÉS POUR COMPRENDRE
Un vent de « dégagisme » souffle sur le pays du Cèdre. Trente ans après la fin de la guerre civile, la jeunesse libanaise est dans la rue. Une génération contestataire qui ne se retrouve plus dans le système confessionnel et les élites claniques.
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FAILLITE DE L’ÉTAT ET DIRIGEANTS CORROMPUS Tout a commencé par une taxe inepte de 20 % sur les communications WhatsApp, un service censé être gratuit et fort prisé de la jeunesse. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Depuis le 17 octobre, la population libanaise occupe la rue, de Beyrouth à Baalbek, en passant par Saïda. Un mouvement de fond, intergénérationnel et pacifique, qui a rassemblé jusqu’à 1,5 million de personnes au plus fort de la mobilisation. C’est 20 % de la population ! Administrations fermées, banques closes, routes barrées : pendant quinze jours, le pays était complètement paralysé. A tel point que le Premier ministre, Saad Hariri, a dû présenter la démission de son gouvernement. Les manifestants fustigent la faillite de l’Etat, incapable d’entretenir les infrastructures de base (alimentation électrique, eau potable, gestion des déchets) et d’assurer un avenir à la jeunesse, massivement touchée par le chômage. Ils évoquent aussi cette épée de Damoclès que représente la dette nationale : 90 milliards de dollars, soit 17 000 dollars par habitant. Selon eux, c’est la faute des gouvernements qui se succèdent au pouvoir depuis la fin de la guerre civile (1990).
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LES LIMITES DU SYSTÈME CONFESSIONNEL La Constitution du Liban, élaborée à l’époque du mandat français, garantit une répartition des pouvoirs entre les trois principales religions. La magistrature suprême revient à un chrétien maronite, le gouvernement à un sunnite et la présidence du Parlement à un chiite. Mais la démographie comme les mentalités ont changé depuis l’indépendance (1943) et ce système confessionnel est aujourd’hui remis en cause. Fait nouveau, les contestataires ne mettent pas leur foi en avant et se recrutent dans tous les secteurs de la société. Après avoir longuement hésité, le président Michel Aoun, 84 ans, en a pris acte et s’est adressé à la nation dans un discours solennel annonçant des réformes. Il s’est prononcé en faveur d’un gouvernement où les ministres seraient choisis « pour leurs compétences et leur expertise et non pour leur loyauté politique ».
Même Hassan Nasrallah, le chef du tout-puissant Hezbollah, partisan du statu quo (qui en fait un acteur incontournable) et très critique vis-à-vis du mouvement, plaide pour un dialogue entre la classe politique et les « représentants honnêtes » de la contestation.
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UN CONTEXTE RÉGIONAL VOLATIL Dans un Moyen-Orient instable pour ne pas dire explosif, le Liban a toujours dû composer avec ses puissants voisins, la Syrie et Israël. Et la guerre civile a démontré que ces derniers avaient une fâcheuse tendance à s’inviter dans les faubourgs de Beyrouth, avec armes et bagages ! Allié efficace de Bachar el-Assad, le Hezbollah est évidemment un acteur clé de la partition qui se joue actuellement à Beyrouth. La milice chiite a considérablement modernisé ses moyens d’action (fabrication de missiles longue portée avec l’aide d’ingénieurs iraniens). Les tensions restent vives à la frontière sud, où des bombardements et des échanges de tirs ont lieu régulièrement entre ses hommes et Tsahal. Plus que l’armée libanaise, mal équipée et peu motivée, c’est le Hezbollah qui incarne la vraie résistance face à Israël. C’est d’autant plus vrai que Washington, qui le considère comme un groupe terroriste, vient juste de suspendre une aide militaire de 105 millions de dollars destinée au Liban. Comme si le président Michel Aoun n’avait pas suffisamment de soucis comme ça. Les ennuis volent toujours en escadrille…