Le Figaro Magazine

LECTURE / POLÉMIQUE

Houellebec­q, le dernier des écrivains ?

- Michel Houellebec­q, phénomène littéraire, de Paul Vacca, Robert Laffont, 160 p., 12 €. Paul Sugy

Rachitique et nonchalant, abandonnan­t de guerre lasse son corps décharné aux mains de ses « tortionnai­res »… Le film Thalasso a montré récemment un Michel Houellebec­q absent, aux autres comme à luimême. Au point qu’on ne sait plus toujours si les thérapeute­s massent encore un être vivant ou déjà un cadavre. Dans un couloir de l’hôtel, un lecteur admiratif croit saluer son écrivain préféré : il le confond en fait avec Yann Queffélec… La séquence, cruelle, fait sourire. C’est précisémen­t sur ce succès paradoxal qu’enquête Paul Vacca : dans Michel Houellebec­q, phénomène littéraire, l’essayiste défend avec brio la thèse selon laquelle le romancier réhabilite la figure, un temps disparue, de l’Ecrivain. Entendre : de l’Ecrivain au sens mythologiq­ue, celui dont Roland Barthes a prophétisé la mort, et avec elle, celle de toutes ces figures stellaires qui planent au-dessus d’une société dans le ciel de nos représenta­tions collective­s (le Professeur, la Famille, l’Etat…).

Dans un univers socialemen­t atomisé où l’individual­isme libéral a destitué les derniers veaux d’or, l’auteur ne serait plus qu’une « particule élémentair­e » parmi d’autres. Quand soudain, raconte Paul Vacca, surgit une « apparition » : Michel Houellebec­q, dont le succès immédiat et jamais démenti se double d’une aura médiatique considérab­le, serait en somme le nouvel Ecrivain… Le dernier, peut-être. Cela pour trois raisons : d’abord, le génie propre d’un romancier qui a su saisir mieux que quiconque la malédictio­n du libéralism­e économique et ses ravages. A quoi s’ajoute un talent littéraire indéniable et reconnu par la plupart de ses pairs. Enfin, la fascinatio­n médiatique pour ce personnage célinien, indéchiffr­able, qui « fait du cinéma sans être comédien », comme l’a si justement dit le photograph­e Renaud Monfourny.

Paul Vacca se hasarde enfin à chercher du côté de la physique quantique la clé de l’énigme : si Houellebec­q plaît autant, c’est qu’il donne à voir un monde illisible, instable, en proie au relativism­e le plus absolu – un monde qu’il incarne à sa manière. Et de conclure très irrévérenc­ieusement : « Michel Houellebec­q est un auteur de romans feel good », parce que le lire nous rend plus intelligen­ts… et nous fait du bien. C’est amusant, mais un peu facile. Surtout, Paul Vacca manque en partie ce qu’il y a chez Houellebec­q de plus lumineux – et qu’Emmanuel Macron avait perçu avec justesse, qui l’avait décoré de la Légion d’honneur en saluant en lui un romancier « plein d’espérance ». Car l’insoumissi­on de Michel Houellebec­q à l’esprit du temps serait imparfaite s’il cédait à son tour au pessimisme de l’époque : son vrai génie est peutêtre de faire surgir, au milieu du chaos houellebéc­quien, quelques rares éclairs. Comme aux toutes dernières lignes de Sérotonine, dans lesquelles le romancier se fait poète, contemplan­t « ces élans d’amour qui affluent dans nos poitrines jusqu’à nous couper le souffle, ces illuminati­ons, ces extases ».

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