LECTURE / POLÉMIQUE
Houellebecq, le dernier des écrivains ?
Rachitique et nonchalant, abandonnant de guerre lasse son corps décharné aux mains de ses « tortionnaires »… Le film Thalasso a montré récemment un Michel Houellebecq absent, aux autres comme à luimême. Au point qu’on ne sait plus toujours si les thérapeutes massent encore un être vivant ou déjà un cadavre. Dans un couloir de l’hôtel, un lecteur admiratif croit saluer son écrivain préféré : il le confond en fait avec Yann Queffélec… La séquence, cruelle, fait sourire. C’est précisément sur ce succès paradoxal qu’enquête Paul Vacca : dans Michel Houellebecq, phénomène littéraire, l’essayiste défend avec brio la thèse selon laquelle le romancier réhabilite la figure, un temps disparue, de l’Ecrivain. Entendre : de l’Ecrivain au sens mythologique, celui dont Roland Barthes a prophétisé la mort, et avec elle, celle de toutes ces figures stellaires qui planent au-dessus d’une société dans le ciel de nos représentations collectives (le Professeur, la Famille, l’Etat…).
Dans un univers socialement atomisé où l’individualisme libéral a destitué les derniers veaux d’or, l’auteur ne serait plus qu’une « particule élémentaire » parmi d’autres. Quand soudain, raconte Paul Vacca, surgit une « apparition » : Michel Houellebecq, dont le succès immédiat et jamais démenti se double d’une aura médiatique considérable, serait en somme le nouvel Ecrivain… Le dernier, peut-être. Cela pour trois raisons : d’abord, le génie propre d’un romancier qui a su saisir mieux que quiconque la malédiction du libéralisme économique et ses ravages. A quoi s’ajoute un talent littéraire indéniable et reconnu par la plupart de ses pairs. Enfin, la fascination médiatique pour ce personnage célinien, indéchiffrable, qui « fait du cinéma sans être comédien », comme l’a si justement dit le photographe Renaud Monfourny.
Paul Vacca se hasarde enfin à chercher du côté de la physique quantique la clé de l’énigme : si Houellebecq plaît autant, c’est qu’il donne à voir un monde illisible, instable, en proie au relativisme le plus absolu – un monde qu’il incarne à sa manière. Et de conclure très irrévérencieusement : « Michel Houellebecq est un auteur de romans feel good », parce que le lire nous rend plus intelligents… et nous fait du bien. C’est amusant, mais un peu facile. Surtout, Paul Vacca manque en partie ce qu’il y a chez Houellebecq de plus lumineux – et qu’Emmanuel Macron avait perçu avec justesse, qui l’avait décoré de la Légion d’honneur en saluant en lui un romancier « plein d’espérance ». Car l’insoumission de Michel Houellebecq à l’esprit du temps serait imparfaite s’il cédait à son tour au pessimisme de l’époque : son vrai génie est peutêtre de faire surgir, au milieu du chaos houellebécquien, quelques rares éclairs. Comme aux toutes dernières lignes de Sérotonine, dans lesquelles le romancier se fait poète, contemplant « ces élans d’amour qui affluent dans nos poitrines jusqu’à nous couper le souffle, ces illuminations, ces extases ».